Ici est dénoncée la violence des années qui vont suivre et faire basculer l'Algérie dans le noir. Cela n'aurait pu être qu'un simple roman policier, insipide, sans saveur ni couleur, or voilà, La mort de l'entomologiste que vient de signer Mohamed Balhi aux éditions Barzakh est un roman délicieux qui se laisse lire avec délectation. Sans trop de rebondissements. Cela débute par la découverte d'un cadavre dans une ferme de la Mitidja. Il s'agit d'un entomologiste qui travaillait chez Malek, agriculteur, et Fatima sa femme, une artiste peintre de talent qui prend souvent comme modèle son amie l'interprète et récemment sa fille, la belle Mouna, étudiante en médecine. Leur vie jusque-là tranquille, va basculer dans l'horreur. Ainsi démarre ce roman qui, au fur et à mesure qu'il progresse, nous fait plonger dans une Algérie en proie aux métamorphoses insidieuses qui vont finir par polluer le village et contaminer le reste du pays en le tirant vers le chaos. Ici est dénoncée la violence des années qui vont suivre. Les signes avant-coureurs ou symptomatiques sont bel et bien là. Un prédicateur véreux prêche le mal et pourfende l'artiste dans ce qu'elle a de plus intime: sa vie de famille et sa liberté de création. L'impuissance de l'adjudant- chef à déceler le mystère de cette affaire traduit tout ce malaise et l'incapacité de l'Etat à résoudre ou venir à bout des escroqueries de tout genre. L'écriture de Mohamed Balhi alterne entre violence et douce mondanité, c'est ce qui rend ce roman encore plus attachant. Les personnages de ce roman n'en finissent pas de se croiser, de se séduire, avec du suspense au bout du parcours. L'écriture imagée donne de la consistance aux personnages qui, entre angoisse et mé-saventure, trouvent le temps de déguster un très bon poisson dans un restaurant chic ou organiser un vernissage dans une grande villa mauresque. Réaliste à plus d'un titre, ce roman l'est davantage lorsqu'il dénonce, dans son sillage, toute la corruption des magnats du pouvoir qui gangrènent le pays. Du vol du sable au niveau des plages jusqu'au trafic de tableaux, à l'aide de ce critique d'art un peu caricatural... Une radioscopie de l'Algérie des années 1990...La description de la vie de ce couple est bien transmise. D'autres personnages gravitent ainsi autour de ce couple-héros, nous dévoilant les états d'âme des uns et des autres. La déliquescence et l'autocensure pour préserver des intérêts est monnaie courante chez certains patrons de presse. C'est une autre facette de l'anarchie sociale que dénonce l'auteur dans La mort de l'entomologiste. Entre enquête et menace, le roman finit peut-être par cette note d'audace -d'espoir?- venant de ce critique d'art qui, malgré toutes les embûches, écrit à la dernière page du roman: «J'irais jusqu'au bout dans l'enquête sur le sarcophage en albâtre!». Né en 1951, à Biskra, Mohamed Balhi est sociologue de formation. Ceci expliquerait probablement cela. Il a été journaliste et grand reporter. Il est l'auteur de Chroniques infernales, Algérie 1990-1995 (Marinoor,1998) et d'un essai Tibhirine, l'enlèvement des moines (Dar El Farabi, Beyrouth,2002). Entre résistance et combat, le roman parvient à souligner ce qu'était la Mitidja bien avant de sombrer...Un roman fort à lire absolument.