Il est urgent de discerner et d'assumer nos responsabilités. Compte tenu de l'intérêt des auditeurs et lecteurs apporté aux entretiens que j'accorde, en tant que chercheur, à nos médias nationaux et étrangers, au sujet de la question du devenir du monde musulman soumis à rude épreuve, comme celle de la propagande fumeuse du choc des civilisations, il est important de revenir sur un point capital, celui de la responsabilité. Il y a évidemment des causes internes et externes. La crise que traverse le monde musulman est d'abord celle de sa responsabilité, avant d'être celle de ses «ennemis», étrangers et autres mouvements hostiles, connus sous le label, trop facilement avancé, de l'impérialisme, du néocolonialisme, du sionisme et du retour des croisades sous d'autres formes. Même si l'adversité et le bellicisme sournois, insidieux ou directs, de forces anciennes et nouvelles opposées à l'Islam, ne ratent aucune occasion pour déformer l'image des musulmans, les agresser, et pire les réduire aujourd'hui à un «axe du mal» pour les combattre et les maintenir dans un état de dépendance; la responsabilité des retards, de la condition de sous-développement, de la condition de «colonisabilité», des contradictions de nos sociétés est avant tout celle des inauthentiques musulmans. Les systèmes archaïques, les fuites en avant, les réactions irrationnelles face aux changements du monde, la marginalisation des élites, la religion-refuge et les pratiques obscurantistes ou superficielles, la pauvreté en matière de production et création d'idées et la faiblesse des pratiques démocratiques relèvent en premier lieu, d'une responsabilité collective interne. Certes, ces dérives et insuffisances sont alimentées et instrumentalisées par tous ceux qui ne veulent pas le bien à nos pays, se servent de ces errements internes pour aggraver la situation, défendre leurs intérêts étroits, et faire diversion aux problèmes politiques du monde: l'injustice, les occupations, la loi du plus fort et les inégalités et les dominations, produits d'un système mondial inique. Reste donc à ne pas apporter de l'eau au moulin des néoconservateurs, aux tenants de l'hégémonie occidentale, aux nostalgiques des guerres coloniales et aux croisades. La stratégie à mener pour faire face à ces défis qui concernent tous les peuples doit se baser sur la formation d'un citoyen conscient, cultivé et concerné par l'avenir. Dans ce sens, il est impératif de redonner confiance aux citoyens, à commencer par leurs élites. Cette confiance qui est un trésor inestimable, dépend des actes et paroles des politiques. Les peuples musulmans sont comme livrés à eux-mêmes, il y a lieu de revenir à eux pour bâtir l'avenir. Cela ne peut se faire que sur la base d'une ouverture démocratique conséquente, d'une révolution en matière d'éducation et de formation qui sache allier modernité et authenticité, et d'un programme de réformes économiques adaptées aux réalités de nos pays. De plus, le monde musulman n'a pas que des ennemis, il a des amis, au sein même du monde occidental qui sont attachés aux principes de justice et de respect du droit à la différence. En conséquence, il est urgent de discerner et d'assumer nos responsabilités, pour apprendre à défendre et expliquer notre juste cause, notre droit à critiquer les dérives de la modernité et du désordre mondial, mais pour être crédible on doit aussi pratiquer l'autocritique. Sans le dialogue et un savoir élaboré et objectif, on ne pourra pas relever tous ces défis. Il est encore possible, malgré tous les handicaps, les atouts existent. * professeur des Universités