Rencontre du deuxième type sous le signe des «Rachid» unis pour l'amour du beau et du désert... La Bibliothèque nationale d'El Hamma a accueilli, samedi dernier, une rencontre littéraire à l'occasion de la sortie du livre Cinq fragments du désert, cette fois, sous forme d'un beau livre car illustré par les beaux dessins de Rachid Koraïchi. Une coédition signée Barzakh-Actes Sud (France). Cette réédition fait suite à la première sortie en 2001 dans la collection L'oeil du désert. Le présent ouvrage est écrit dans les deux langues française et arabe. Sa traduction vers l'arabe est aussi assurée par Hakim Miloud. Cinq fragments du désert est une plongée mystique «de la poétique métaphysique» comme dirait Sofiane Hadjadj sur la grandeur du désert. Une ode à son immensité et sa beauté insolite, lyrique, qui a de tout temps nourri l'imaginaire humain. Les éditions Barzakh ont eu ainsi l'ingénieuse idée de réunir deux Rachid, unis pour l'amour de l'art, l'un de l'écriture plastique et du soufisme, et l'autre, des mots et de la poétique; deux hommes qui sont nés et ont grandi dans une même ville, soit à Aïn Beïda. Ce fut pour la première fois que ces deux grands créateurs qui se connaissent depuis longtemps affûtent leurs plumes et leur talent au service du beau, a fortiori pour sonder l'âme de ce désert qui a fasciné tant de poètes et écrivains et continue encore à éblouir les artistes du monde entier... En effet, à la poésie inquiète de Rachid Boudjedra répond l'imaginaire fertile du second Rachid. Texte et illustrations entrent alors dans une magnifique résonance. Devant un parterre d'étudiants en bibliothéconomie, Rachid Boudjedra dira que le titre fait référence à cette symbolique populaire qui utilise souvent le nombre cinq comme pour prévenir du mauvais oeil par exemple. «Pourquoi fragments? Je suis fasciné par l'architecture. Cela renvoie aussi à Pythagore, comme une bombe à fragmentation, une poupée russe. Je pense avoir pensé à cela...» Aussi, chaque «fragment» correspond à une citation de ce célèbre auteur ou philosophe Saint John Perse, qui traduit sous de belles lettres l'expression imagée de Boudjedra à laquelle font écho les illustrations de Koraïchi. Geste vaporeux, couleur ocre, mirage, senteur, impression de vertige née de ce vertigineux silence et vide...L'on apprend que «le jour, le Sahara est une confusion», que «le Sahara est un chant de nuit, aussi» (Ahl Ellil), que «le Sahara n'est pas le désert», il est «un leurre aussi», «un presque néant». De l'écriture non pas de la calligraphie, mais aussi oiseaux, plumes, mosquées accompagnent ces phrases hautement colorées qui se dégagent de l'écriture de Boudjedra tandis que les dessins happent des fragments de la vie matérielle de cet inénarrable désert... Si spirituel et insaisissable. Beau livre que ce Cinq fragments du désert, de 96 pages. A s'offrir ou, mieux, à offrir. Présent à cette rencontre, Rachid Koraïchi qui rappellera à juste titre son riche parcours pour ceux qui ne le connaissent pas encore, regrettera que son oeuvre ne soit présente dans aucun musée en Algérie, ne serait-ce qu'une pièce de tableau. Il stigmatisera, en effet, ce manque de tact de la part des responsables de la culture en faisant référence également à l'absence de lieux de mémoire à proprement parler. Il citera tous ces projets qui n'attendent que lui outre-mer et tout le travail colossal entrepris grâce à différentes fondations étrangères...«Mais peut-être que c'est le début d'une nouvelle aventure?» se demandera-t-il finalement, confiant après que son regard se soit dirigé vers M.Orif, le directeur du Musée d'art moderne (Mama)... Né en Algérie en 1947, dans la région des Aurès, Koraïchi appartient à une famille de tradition soufie, de la tarika Tidjaniya. Cet élément est d'importance pour comprendre le lien sacré qu'il entretient avec l'écriture et les signes. Dès son plus jeune âge, son regard d'enfant parcourt, sans encore la lire, l'écriture arabe présente dans la demeure familiale sur des parchemins ornés d'enluminures, dans de vieux livres décorés d'arabesques. Livres merveilleux et mystérieux, soustraits aux mains de l'enfant, ce qui ne manque pas d'éveiller son attention...Plus tard, Jamel Eddine Bencheikh parle d'écriture-passion pour évoquer l'oeuvre de Koraïchi. Elle s'explique par l'intérêt de l'artiste pour les textes de la tradition mystique; textes dont il reprend des bribes dans son oeuvre. Elle s'explique aussi par le travail croisé accompli avec ses amis Mahmoud Darwich, Mohamed Dib, Bencheikh, mais aussi René Char et Michel Butor, montrant ainsi que les cultures s'enrichissent et se nourrissent de leur rencontre. Des rencontres multiples et autant d'expositions dans le monde...En attendant que son pays l'en honore avec une reconnaissance à la hauteur de son talent! Cinq fragments du désert, 1100DA. Coédition Barzakh/Actes Sud (France)