Dans cet entretien, l'ex-chef du mouvement El Islah menace de recourir à la clandestinité si les autorités persistent dans «leur refus de me restituer le parti». Notre interlocuteur se réfère à son combat mené durant les années 70 et 80 au sein du mouvement En Nahda pour prouver que même «sans parti» l'homme continuera à défendre son projet de société. «Je serai toujours présent parce que je suis porteur d'un projet. Je n'ai jamais milité pour un portefeuille ministériel ou un poste officiel.» Enfin, Djaballah annonce qu'il ne sera pas présent à la présidentielle de 2009. L'Expression: Vous nous accueillez au siège national d'El Islah. Ce parti, M.Abdellah Djaballah, vous l'avez perdu, quel est intérêt de vouloir s'accrocher obstinément à un corps sans âme? Abdellah Djaballah: Ceux qui pensent que Djaballah est fini politiquement se trompent. Djaballah est présent. Ce n'est pas le complot ourdi contre le parti et ma personne qui va tuer notre projet politique. Loin s'en faut. Nous militons pour la souveraineté du pays, pour le respect des libertés politiques et individuelles. Nous avons un projet islamiste dans lequel se reconnaissent des millions d'Algériens. Il est impossible dans ce cas, de nous effacer d'un trait de stylo. Une sanction politique ne pourra jamais enterrer un projet de société. Nos idées, nous les défendrons avec tous les moyens. Je n'ai pas peur d'avancer, encore moins de nager dans une mer agitée. J'ai la force qu'il faut. Et cette dernière, je la tire de nos militants qui me soutiennent, qui ont la volonté nécessaire de défendre notre projet de société. L'histoire, et même l'actualité nous renseignent qu'en Algérie, une personnalité politique aussi charismatique soit-elle, amputée d'un parti politique, est condamnée à l'oubli. Ne craignez-vous pas ce sort? Absolument pas et ce, pour plusieurs raisons. De prime abord, je milite pour une cause juste. El Islah me revient de droit. Parce que tout simplement c'est Djaballah qui l'a créée et qu'il en a fait une force politique redoutable. En outre, je suis porteur d'un projet pour l'Algérie. Les portefeuilles ministériels, les postes officiels ne m'ont jamais intéressé. Je dis enfin que je n'ai pas perdu le parti, l'on attend toujours la décision du Conseil d'Etat qui tarde à venir pour des raisons qu'on ignore. Sur le terrain je suis très présent, sauf que mes priorités ont changé. Actuellement, les structures du parti se focalisent sur la formation des militants. Un programme a été élaboré dans ce sens pour rattraper le retard enregistré par le passé... Djaballah aurait pu contrer la dissidence si ce travail avait été entamé avant la crise? Avec du recul, je reconnais que la formation et le travail de mise à niveau culturel et idéologique des militants ne constituaient pas une priorité pour la direction d'El Islah. Les débats politiques, les joutes électorales, la crise politico-sécuritaire du pays nous ont détourné de l'essentiel. Maintenant que le parti passe par une zone de turbulences, nous essayons de corriger les erreurs, dans la perspective bien sûr, de récupérer le parti, tôt ou tard. En politique rien ne dure. Ce qui est interdit aujourd'hui peut être autorisé demain. Dans ce sens, j'ai eu personnellement, à présider plusieurs conférences dans lesquelles le débat s'était axé sur la ligne politique du parti, les actions qui doivent être menées sur le terrain. Dans ces rencontres l'on dissèque les lacunes du parti, on étudie les meilleurs moyens pour resserrer ses rangs. Les rassemblements, principalement, ceux à caractère politique, sont soumis à une autorisation délivrée par le ministère de l'Intérieur. Avez-vous le feu vert de l'administration pour tenir ses conférences? Djaballah active-t-il au nom d'El Islah? Non, je n'active pas au nom d'El Islah... Peut-on conclure que vous êtes en train de travailler dans la clandestinité? C‘est une semi-clandestinité parce que, faut-il savoir, ces conférences sont tenues dans les différents sièges locaux du parti, auxquelles assistent les militants en présence des journalistes. J'ai eu à aborder cette question avec le ministre de l'Intérieur lors d'une récente rencontre. J'ai expliqué à M.Yazid Zerhouni mon souhait d'exercer mes droits politiques dans un cadre légal. J'ai dit que je ne souhaiterais pas retourner à la clandestinité, mais si on m'y oblige ce ne sera pas un drame pour moi. Je le ferais, comme je l'ai déjà fait durant les années 70 et 80. Ceux qui connaissent le parcours politique de Djaballah, savent que je ne perds rien de ma pertinence ni de ma perspicacité en exerçant la politique en dehors du cadre légal fixé par les lois algériennes. Au coeur de ma clandestinité, j'ai combattu avec le mouvement En Nahda, non-agréé, contre l'idéologie communiste à l'intérieur des universités. Plusieurs mosquées furent bâties, des milliers de jeunes furent sensibilisés au travail que le mouvement a mené à l'ère du parti unique. A l'époque étais-je loin du pouvoir qui m'avait pourchassé, emprisonné plusieurs fois? Ce bref exposé de mon passé politique prouve que la clandestinité ne tue pas Djaballah. Je pense même que le pouvoir a tout intérêt à me laisser travailler dans un cadre légal au lieu de me forcer à agir en clandestin politique. Est-ce un chantage ou un deal politique que vous êtes en train d'exposer? Ce n'est ni l'un ni l'autre. Afin de lever toute équivoque, et de balayer les mauvaises interprétations, j'insiste sur le fait que je resterai toujours fidèle à la lutte politique pacifiste, même s'il est vrai que ce chemin est rude et très complexe. Votre retour au mouvement En Nahda est-il prévisible? J'ai cru comprendre que certains cadres ont émis ce souhait. Mais je pense qu'il est important de rappeler deux points: j'ai quitté En Nahda pour des raisons liées à sa ligne politique et à l'indépendance de ses décisions. Si je constate que les choses ont évolué, je pourrais peut-être étudier cette éventualité. Mais pour le moment, il est prématuré de parler de ça. Le président du MSP, M.Bouguerra Soltani, plaide pour une alliance des partis islamistes. Seriez-vous prêt à y adhérer? Non, pour la simple raison que le MSP lui-même n'est pas convaincu de cette idée. Elle est destinée à l'opinion publique. Vous avez défendu la réconciliation nationale en tant que chef du parti El Islah. Loin de cet appareil comment jugez-vous ses résultats sur le terrain? Nul ne peut ignorer que d'énormes progrès ont été réalisés sur le terrain. Mais si l'Etat a réussi à vaincre le terrorisme, il n'en est pas de même pour l'extrémisme qui se nourrit du malaise social et de la hogra. Djaballah sera-t-il présent en 2009 dans la course à la présidentielle? Non, je ne me présenterai pas à la présidentielle et j'appelle les forces politiques crédibles à boycotter ce scrutin parce que je doute fort que les conditions nécessaires pour l'organisation d'un scrutin transparent seront réunies. La révision de la Constitution occupe la scène politique depuis trois ans, mais le mystère perdure sur la nature des modifications que contiendra le prochain texte. Que pensez-vous de cette démarche? Je suis d'accord pour le principe mais je conteste le fond. Nous avons nos propres idées que nous dévoilerons si le pouvoir nous sollicite.