...ET PUIS, il disparaît, car son art est une mission d'homme, et ce n'est pas un hasard. «El Hâdj El Hachemi Guerouabi n'est plus! El Hâdj El Hachemi Guerouabi n'est plus!», répétait-on le 18 juillet 2006. L'information a couru brutale, surprenante, désespérante, même si depuis quelque temps, on savait que notre exceptionnel chanteur du cha‘bî, adulé, respecté, était souffrant. Celui qui, parmi ceux qui se rapprochaient le plus de leur peuple et de leur patrie, qui vénérait les valeurs authentiques de notre patrimoine musical et spirituel, avait pourtant chanté, le 4 juillet 2005 au Théâtre de Verdure, malgré sa maladie, pour ceux qui l'aimaient, pour ceux qu'il aimait. C'était un concert inoubliable avec des qaçâid flamboyantes d'amour et surtout empreintes de signes exquis et discrets d'un adieu qui n'avait certainement pas échappé à l'attention affectueuse de ses proches et de ses amis. Contrairement à l'art, ce jour-là, encore une fois, l'artiste, de retour de l'étranger, a bien ressenti qu'il avait une sainte patrie. L'idée n'est certes pas originale, mais elle conscientise sur le fait que l'art reflète, de la façon la plus subtile, la passion et l'âme de tout un peuple. Youcef Dris vient justement de nous le rappeler en publiant El Hadj El Hachemi Guerouabi (*), un album (format 22 x 28) soigné, cartonné, maquette agréable, papier couché, photos en couleurs dans le texte et en pleine page, caractères lisibles. L'auteur, journaliste professionnel, né à Tizi Ouzou en 1945, a fait paraître dans la presse des contes pour enfants, des nouvelles, des poèmes et fait éditer, en 2004, un roman Les Amants de Padovani (une histoire tragique au temps de la colonisation entre Amélie, une «européenne», et Dahmane, un «indigène») et, en 2007, des récits sous le titre Histoires criminelles. Cette fois-ci, Youcef Dris nous propose «une biographie-hommage» pleine d'émotion, consacrée à El Hadj El Hachemi Guerouabi dont il est le neveu et qu'il a longtemps côtoyé pour avoir suivi ses activités et surtout consigné de nombreuses informations auprès même de son oncle. «Aujourd'hui, écrit-il dans son avant-propos, il me paraît de mon devoir de mettre à la disposition du public algérien cet ouvrage qui n'est qu'un survol de la vie et l'oeuvre de notre regretté El Hadj El Hachemi Guerouabi, en étant persuadé que d'autres auteurs immortaliseront ce monument de la chanson algérienne qui appartient à tous les Algériens sans exclusive.» La préface de Redouane Mohammedi à cet album jette un regard humain sur la noblesse de coeur et d'esprit d'un des plus magnifiques artistes de notre époque. En fait, l'ouvrage est une suite d'éloges émouvants retraçant l'enfance, l'adolescence et le cheminement du jeune El Hachemi qui, d'abord épris de football, puis bientôt envoûté par la musique et la poésie, éprouve le plaisir de constater que sa voix charmait ses camarades. Il est né d'un père originaire de Sour El Ghozlane, le 6 janvier 1938 à El Mouradia (un quartier sur les hauteurs d'Alger et dont la colonisation avait fait La Redoute) et d'une douce mère venue de Kabylie. Très tôt, El Hachemi perd ses deux parents; il doit -comme tant d'autres jeunes algériens- gagner quelque argent pour venir en aide à son entourage dans la dure vie des années 50. Cependant, ne perdant rien de sa fougue de jeune instruit par l'art des grands noms de la musique cha‘bîe, il découvre El ‘Anqa, M'rizek, H'sissen, Zarbout et El‘Achchâb. Sa voix, si personnelle, sa gentillesse intelligente et son sens de la comédie appellent des encouragements dans les milieux de la musique, du théâtre et du cinéma. Auprès de Mahieddine Bachetarzi, l'autre grand maître de la culture algérienne (chanteur, musicien, comédien, dramaturge), il s'épanouit et se distingue au music-hall El Arbi. El Hachemi Guerouabi progresse, le public le réclame. Il rencontre de nombreux maîtres qui le désignent sans hésitation comme le meilleur de sa génération. Sa jeunesse nourrit ses justes et saines ambitions; il plaît aux jeunes qui l'écoutent et qui se coiffent «à la Guerouabi». À l'indépendance, le succès est grandissant: la radio, la télévision, les fêtes familiales le réclament; sa voix s'impose; son mandole s'impose; ses qaçâid s'imposent; les suffrages sont vraiment de longue durée. Guerouabi est le maître parfait et généreux du cha'bî, chantant les grands poètes des siècles d'or de la poésie algérienne et ses contemporains. Il triomphe dans tous les spectacles en Algérie et à l'étranger: Hâdjoû lafkâr (les pensées sont en effervescence), El Bârah (hier), El Harrâz, Yaoum el Djam‘a khardjoû ryâm, Yaoum el khemîs wâch ed-dânî,...À lire El Hâdj El Hachemi Guerouabi de Youcef Dris, on mesure la vraie valeur de cet immense artiste: «Ma passion pour mon pays, aimait-il à faire savoir, et pour ma ville d'Alger ne m'a jamais quitté, et c'est alors que j'ai écrit et composé mes meilleurs textes, teintés de nostalgie à l'image de Twahhacht El Bahdja, Choufoû Massar, Allo Allo...» Tant il est vrai que l'artiste ne peut être soi que s'il est en accord complet avec sa Mère Maternelle. (*) EL HADJ EL HACHEMI GUEROUABI de Youcef Dris Editions 2000 - Non Lieu, Alger, 2007, 127 pages.