C'est pourquoi, il a toujours refusé d'adhérer à aucun des partis implantés dans la région comme le FFS ou le RCD. Le mouvement citoyen, né à la suite des événements du printemps, a fait naître une nouvelle vague de leaders «politiques» qui se sont imposés comme de véritables meneurs d'hommes et des rassembleurs de masses populaires. C'est le cas de Belaïd Abrika qui est devenu, en l'espace de quelques mois, la figure de proue du mouvement assimilé beaucoup plus à un chef politique en fuite qu'un responsable d'un mouvement à la dimension locale. Avec son look branché à mi-chemin entre Che Guevara et Jésus-Christ, ce jeune de 26 ans diplômé de l'université Mouloud-Mammeri, s'est illustré dans le mouvement comme le seul chef capable de capter l'intérêt des citoyens qui commençaient à se lasser des marches de contestation et d'une désobéissance civile qui a conduit la Kabylie à devenir une ville morte. Inconnu il y a une année, Belaïd Abrika avait pourtant participé à toutes les actions de revendication de la cause berbère depuis 1991, date à laquelle il avait contribué à la création du comité de soutien à Bessaoud Mohand-Arab et rejoint la Fondation Matoub, considérant que le combat pour la reconnaissance de la langue amazighe passe inéluctablement par un mouvement né d'un combat d'un militant. Da Arav et Matoub étaient pour lui des idoles immortelles qu'il fallait vénérer et n'avaient rien à voir avec ces chefs de parti qui voulaient se faire beaucoup plus un nom sur la scène politique que servir une cause défendable. C'est pourquoi, Abrika a toujours refusé d'adhérer à aucun des partis implantés dans la région comme le FFS ou le RCD. Il avait, selon ses proches, une vision beaucoup plus personnelle du combat pour la cause et n'acceptait pas toujours les propositions soumises à coups de discours des leaders de ces partis. Loin d'être un individualiste, c'est avant tout un jeune loup de la politique qui sait s'affirmer et imposer ses idées au bon moment. Il avait choisi la renaissance du mouvement citoyen des communes et daïras de Kabylie comme une tribune apolitique pour revendiquer les actions en faveur de la région. Après l'échec de la marche du 14 juin, Belaïd Abrika de Tizi Ouzou et Ali Gherbi de Bejaïa se sont constitués «publiquement» porte-parole du mouvement des ârchs considéré par le pouvoir comme un «représentant inconnu» de la région. Après plusieurs tentatives de marche avortées, la notoriété d'Abrika n'a pas cessé de monter en flèche, grâce surtout à son look captivant et à son engagement «politique» démesuré. Contrairement à Abrika qui a tendance à allumer les foules et à attiser les haines, Gherbi était le sage qui savait mesurer ses paroles et avancer avec prudence. Gherbi et Abrika étaient incontestablement devenus les Abassi et Benhadj de la cause berbère. La presse les sollicite et le pouvoir les surveille. Multipliant les déclarations dans la presse et sur le Net, Abrika était plus médiatisé et sollicité que les autres chefs politiques, alors que Gherbi, beaucoup plus en retrait, préfère rester dans l'ombre. L'enfant terrible de Tizi est devenu un leader incontesté qu'on respecte et protège. Certains jeunes des quartiers de la ville des Genêts se sont même constitués comme les «bodyguards» attitrés du porte-parole des ârchs. Quand la police est venue l'interpeller, il y a quelques jours au domicile familial, Abrika était parti, prévenu par les guetteurs qui étaient postés un peu partout dans son quartier. Belaïd Abrika était entré dans la clandestinité, comme l'avaient été auparavant d'autres leaders politiques tels que Che Guevara, Marcos, Mickael Collins de l'IRA ou plus récemment, mais dans un autre contexte, Ben Laden. Loin d'avoir le charisme du Che ou la personnalité du sous-commandant chef Marcos, qui luttait pour la cause des Indiens du Chiapas au Mexique, Belaïd Abrika est avant tout un jeune Algérien qui veut vivre en toute liberté. Il l'a confié à certains de ses proches indiquant qu'il est prêt à se rendre, si les autorités lui donnent l'assurance qu'il ne sera pas emprisonné ou maltraité. Attendant probablement les prochaines mesures d'apaisement, notamment la libération prochaine des détenus, l'«hirondelle kabyle» reviendra à la scène publique pour reconduire un mouvement qui n'a pas encore dit son dernier mot. Contrairement à certains cercles des ârchs qui veulent faire durer la contestation kabyle, Abrika devra choisir et aller de l'avant, surtout que la contestation a faibli ces derniers temps, car les habitants de Tizi et de Béjaïa en ont marre de faire le siège des brigades de gendarmerie, de jouer à l'intifadha, de faire régner l'insécurité dans les quartiers et de détruire l'économie d'une région qui ne vit que de ses commerces personnels pour une cause qui a été en partie satisfaite. Depuis une année, Tizi et ses communes ne respirent que l'odeur de lacrymogène et Béjaïa, ville de tourisme par excellence, a cessé de voir le soleil. Au risque d'être instrumentalisé par les partis ou certains adversaires de la paix dans la région, Abrika est mis devant des choix politiques décisifs, surtout que les plus importants points de la plate-forme d'El-Kseur ont été satisfaits par le pouvoir : le départ des gendarmes et la constitutionnalisation de la langue amazighe ou encore la promesse d'indemnisation des victimes. Dans quelques jours, la coupe du monde va débuter faisant baisser considérablement la contestation populaire. Considéré comme la messe internationale du sport, cet événement va capter, durant un mois, l'intérêt des jeunes dans la région et va sensiblement diminuer la tension. Passé ce mois, c'est l'été, les habitants de Béjaïa et à un degré moindre ceux de Yakouren, Azazga et Tizi vont changer de cap optant beaucoup plus pour les plages bleues de la côte que pour un face-à-face noir avec les CNS. En définitive, «le ballon» jaune et vert est dans le camp d'Abrika qui devra rapidement faire des propositions concrètes pour faire cesser le mouvement de contestation et rendre à la Kabylie son cachet de petite Suisse d'Algérie. Et à ce prix, Abrika devra choisir enfin entre le début d'un parcours politique fructueux et honorable et la déchéance d'un leader qui a échoué dans sa mission.