Les intellectuels arabes revendiquent leur droit et leur devoir de dire la vérité, aussi amère soit-elle. «C'est la France qui a politisé le Salon du livre et non pas les intellectuels arabes», affirme Mustapha Chérif en réaction à la campagne menée tambour battant à travers les médias français contre le boycott par les écrivains arabes du Salon du livre de Paris, avec Israël pour invité d'honneur; Salon inauguré d'ailleurs par son président Shimon Peres. Ce Salon est politisé, d'autre part, par le fait qu'il consacre le 60e anniversaire de la création de l'Etat hébreu alors que des dizaines de Palestiniens continuent à mourir dans les raids de l'armée israélienne à Gaza ou en Cisjordanie occupée. De fait, les décideurs français ont été d'une maladresse choquante et inadmissible, estime l'invité d'A Coeur ouvert avec L'Expression qui souligne que «la France a fait de ce rendez-vous hautement intellectuel, un espace politique et a raté une belle occasion de relancer le dialogue en n'invitant pas la Palestine» L'intellectuel arabe ne pouvait rester indifférent face à cette forme de provocation. Le boycott est, pour lui, une réaction logique, un choix mûrement réfléchi, loin «d'être un geste improvisé.» Mais le boycott ne signifie pas «comme le prétendent» des cercles français, le rejet du dialogue. «Nous avons des amis parmi l'intelligentsia juive, qui sont conscients des véritables enjeux. Avec eux, le processus du dialogue n'est jamais interrompu». Mais les intellectuels arabes revendiquent à la fois leur droit et leur devoir de dire la vérité aussi amère soit- elle et de critiquer d'une manière constructive en tenant compte de tous les enjeux internes et externes. «Il y a une volonté de faire diversion aux véritables problèmes», note le professeur Chérif. «Nous avons relevé cette volonté délibérée de déplacer le débat vers une critique de la position des écrivains arabes au lieu d'aller au fond du problème, et de dénoncer l'absence de la Palestine et les exactions israéliennes.» Il ajoute: «On ne tombera pas dans ce piège.» Les intellectuels arabes ont-ils réussi là ou les dirigeants politiques ont échoué? Il est clair, pour Mustapha Chérif que les écrivains, de par leur réaction, «ont réussi à susciter un véritable débat». «Nous avons réussi à avoir une position unifiée: l'Association des éditeurs, tous les pays arabes et musulmans et l'immense majorité des écrivains et les intellectuels ont boycotté ce Salon». C'est la première fois depuis les accords d'Oslo ou même depuis la guerre de juin 1967, rappelle-t-il, «qu'une résistance morale et intellectuelle fut capable de contrer la politique des deux poids, deux mesures.» Cet acquis, poursuit-il, a fait trembler des rédactions françaises. «Cette résistance a gagné aujourd'hui parce qu'elle a pu attirer l'opinion publique internationale». Le message des intellectuels arabes est clair et sans équivoque: «On ne peut continuer de gérer le dossier palestinien avec une telle légèreté». La réaction des écrivains arabes ne s'arrêtera pas à ce stade. «L'objectif étant de s'ouvrir à tous les intellectuels de bonne volonté et de favoriser le dialogue loin de la discrimination.»