L'amour d'une mère désespérée: surmonter son impatience et attendre l'oeuvre du temps. Je dois dire d'emblée que le récit Fares de Farida Sellal est bouleversant. Je dis bien «récit» et non «roman». Ce n'est pas une histoire, ce n'est pas une autobiographie, non plus. Mais acceptez que je sois trop sensible pour vous convaincre qu'il y a tout cela dans ce chant d'amour d'une mère pour son enfant dont le corps a perdu toute santé et dont le profond regard abîme une stérile et irrémissible douleur. L'auteur n'a pas eu recours à quelque artifice que ce soit. Pour nous émouvoir, Fadila Sellal ne s'est servie que de ce que l'on a pu savoir d'elle, c'est-à-dire de ses dons naturels, de son expérience professionnelle et de ce que la vie lui a accordé. En effet, à mon sens, plus que son diplôme d'Ingénieur en télécommunications, plus que ses études doctorales, sa passion pour le désert et son coeur et son intelligence de femme l'ont amenée à voir et à comprendre l'image de la nature et de la vérité de l'être humain. Cependant, elle doit son épanouissement évidemment à l'éducation que lui a donnée sa mère et, tout particulièrement, à cet enseignement primordial et ininterrompu qu'elle a reçu d'elle: «...ton paradis est sur la terre de ton pays.» Il faut puiser là l'explication à l'attitude ambitieuse et féconde de Farida Sellal à faire oeuvre d'écrivain algérien qui fait le choix intelligent de dire son pays, de l'aimer et de le faire connaître. On sait, par ailleurs, que l'auteur est à la tête d'une magnifique Association «Sauver l'Imzad» à Tamanrasset et a publié une première oeuvre d'art intitulée Silences en l'honneur du silence plein du désert où l'âme targuie ressurgit fière et lumineuse aux sons de l'instrument monocorde, appelé Imzad. J'ai lu Fares en considérant les intentions particulières de l'auteur. J'y ai éprouvé une immense émotion, car entre Farida Sellal et son oeuvre, existe une sorte de lien charnel, réalisant une unité, une harmonie qui est sa propre beauté. Mais pourquoi user d'exergues qui souvent corrompent parfois l'enchantement dont se munit, de confiance, le lecteur, - surtout le lecteur algérien auquel on aurait, d'une façon insidieuse, appris à se méfier de l'oeuvre algérienne? Aussi, disons-le franchement encore une fois ici: quel vrai besoin ont certains de nos écrivains de peupler leurs écrits littéraires de citations d'auteurs étrangers? - Mimétisme? Ornement? Soutien? Est-ce bien nécessaire quand notre écrivain a sûrement quelque chose d'essentiel à dire sans s'évader de l'univers qui fait son identité? Oui, il ne m'en chaut guère ce que tel ou tel écrivain a pensé de notre désert et de son silence, de sa paix, de sa lumière... Farida Sellal le dit, elle, de toutes ses tripes. Elle le chante «de Tamanrasset à Djanet, d'Agades à Niamey ou le Kidal à Bamako, partout dans l'Ahaggar, le Tassili des Ajjer, l'Air ou l'Adrar des Ifoghas, au milieu de ces massifs»; elle a les compétences et la générosité de faire écouter le monde entier le son de la complainte musicale émise par l'Imzad... Et justement, dans Fares, le désert est omniprésent. La narratrice (Farida) nous raconte sa vie entre Alger et Tamanrasset. «Je ne veux pas parler, commence-t-elle, de l'amour, de l'attachement d'une mère à son fils. [...] je veux parler de ce qui nous a aidé à avoir d'autres matins, d'autres bonheurs. [...] Ce que je ne savais pas de cette vie, c'est qu'il suffit d'un jour, d'un instant, d'une seconde, pour que toute une existence soit déviée.» Elle est ingénieur à Alger, elle a deux enfants, Rym et Fares, elle suit Malek, son mari, cadre de la nation, dans ses multiples affectations dans le Sud. Pour élever ses enfants, comme elle le souhaite, elle se met en congé. Quand c'est nécessaire et pendant les vacances scolaires, elle retourne à Alger pour coordonner les travaux de construction de leur villa. Mais en été, avec les grosses chaleurs, il a fallu habiter chez les parents, quitter pour un temps son mari qui tous les soirs appelle au téléphone pour avoir des nouvelles. Bientôt, Malek, espérant durant son congé, rejoindre sa famille, loue un appartement au bord de la mer. Il supplie sa femme d'aller, avec les enfants, s'y installer, sans lui, car le début du congé est repoussé de jour en jour...Farida refuse puis finit par obéir et se fait accompagner par sa nièce Hadia...Le soir même, le drame couve sous le feu. Soudain, «Un bruit horrible d'une explosion»...et c'est le malheur, le malheur qui fait lever le regard «en haut, vers le Ciel»! Avec une minutie poignante, Farida Sellal témoigne de ce drame, de ce qui l'a causé et de ses conséquences terribles. Fares est écrit avec des mots si désespérés, si douloureux et si précis que l'on n'hésite pas à penser à une autobiographie. Et peut-être bien que c'en est une. Oui, c'en est une. Ne brisons pas le secret de la narration dont l'écriture est toute féminine, c'est-à-dire vive, irrésistible, avec des mots du coeur, c'est-à-dire dans un langage familier, sans fioritures littéraires. L'ambition de l'écriture, étreinte par la douleur et la tristesse, pourrait paraître alors trop sobre pour le lecteur. Faut-il le regretter?...Il y a pourtant çà et là des poèmes; ils disent le malheur nu des roses dans le feu... (*) FARES de Farida Sellal Casbah-Editions, Alger, 2007, 282 pages.