Une fois encore, les Arabes vont se donner en spectacle étalant, à la vue du monde, leur division. Le Sommet arabe, dont la 20e session ordinaire se tient aujourd'hui et demain, à Damas, débute sous les plus mauvais auspices, plombé qu'il est par le boycott libanais et les absences ostentatoires de quelques-uns des leaders arabes. Du boycott déguisé du roi Abdallah d'Arabie Saoudite, à celui du Raïs égyptien, Hosni Moubarak et du guide libyen, Mouamar El Gueddafi - pour ne citer que ceux-ci - cela ne fait que mettre en exergue les lézardes dont souffre un monde arabe dont les dirigeants sont, aujourd'hui, incapables de prendre les bonnes décisions et les responsabilités qui leur incombent dans la géostratégie, au moins, régionale. Certes, la politique de la chaise vide ne mène nulle part, même si elle confirme le délabrement de la politique arabe. Dès lors, il n'est pas étonnant que le plan de paix arabe, adopté par le Sommet de Beyrouth en 2002, ait été rejeté par Israël et indirectement par les Etats-Unis, qui attendaient des Arabes qu'ils aillent à Canossa. En réalité, les Arabes n'ont jamais eu leur chemin de Damas, ou sursaut salvateur, qui leur aurait permis, à tout le moins, de changer leur attitude et de réhabiliter la notion d'arabisme, aujourd'hui en pleine décrépitude. Par leur boycott du Sommet de Damas, les pays qui ont décidé de faire l'impasse - par l'envoi de délégations de faible représentativité - sur cette rencontre des monarques et des chefs d'Etat arabes ont, de fait, délibérément enlevé à ce Sommet sa raison d'être. Dès lors, les thèmes abordés à Damas, les décisions qui pourraient y être prises, n'auront pas d'impact sur la réalité de la situation dans le monde arabe quand l'urgence appelait à des solutions consensuelles, notamment pour ce qui est de la crise libanaise. C'était, en effet, l'occasion de mettre à plat le contentieux libanais et si, effectivement, la Syrie serait coupable du blocage actuel au pays du Cèdre, la mettre clairement face à ses responsabilités afin d'amener Damas à savoir raison garder. Cela n'a pas été le cas et du coup, le prétexte de la crise du Liban - qui a motivé un boycott (du Sommet arabe) qui ne dit pas son nom - apparaît peu probant et surfait. Que ce soit sur le dossier palestinien, la question irakienne ou la crise libanaise - problèmes qui interpellent la conscience arabe -, les (dirigeants) Arabes se sont, en fait, exclus d'eux mêmes d'une issue où ils auraient leur mot à dire, s'en remettant aux Etats-Unis pour trouver la solution à des dossiers dont le pourrissement n'est pas étranger à Washington. Sur le dossier palestinien, les Etats-Unis se sont toujours interdits de faire la moindre pression sur Israël, ce que rappela publiquement la semaine dernière à Tel-Aviv le vice-président américain, Dick Cheney, justifiant avec constance les crimes que l'Etat hébreu commet dans les territoires palestiniens occupés, évoquant le droit d'Israël à se «défendre». Cela n'empêcha pas le président palestinien, Mahmoud Abbas, après les massacres de Ghaza, de s'en remettre encore à l'administration américaine pour la «défense» du droit des Palestiniens à un Etat indépendant. Le plan de paix arabe de 2002 était une véritable opportunité, que ni Israël ni les Etats-Unis n'ont jugé politique de lui accorder l'attention que, sans doute, ce document méritait. L'invasion américaine de l'Irak, et la guerre qu'il y a imposée, ont créé le chaos et l'anarchie dans ce pays le ramenant 50 années en arrière tout en ressuscitant le tribalisme et le communautarisme. La guerre a fait, en outre, entre 600.000 et un million de victimes civiles en Irak alors que les Arabes ne sont pas intervenus dans cette tragédie voulue et provoquée par les Etats-Unis. La crise libanaise pouvait trouver une issue honorable pour ses acteurs libanais, pour peu qu'on les eut laissé dialoguer entre eux sans surenchère. Or, l'Occident en général les Etats-Unis en particulier, tenaient d'abord à culpabiliser la Syrie autant pour ce qui se passe au Liban que, plus généralement, dans la région proche-orientale. Le soutien ostensible apporté par Washington à la majorité parlementaire, pro-occidentale, a surtout encouragé cette dernière dans son refus de véritables négociations avec l'opposition représentée par le Hezbollah et le parti Amal et le Courant patriotique de Michel Aoun. L'échec de l'élection du président libanais est, de fait, à imputer dans une large part à la majorité parlementaire qui veut imposer son diktat à l'opposition. Sans revenir sur les cas des dossiers du Darfour et de la Somalie où l'influence américaine y est prépondérante, nous constatons que les Etats-Unis ont largement contribué, par leurs intrigues, à la désunion arabe. Cette désunion arabe évidente, qui a induit les échecs successifs des Sommets arabes, sert largement les intérêts américains et des lobbies israéliens qui n'attendent des Arabes qu'une soumission totale à l'Etat hébreu. Plutôt que d'y faire face et de pren-dre le(s) problème(s) arabe(s) à bras-le-corps, des dirigeants arabes ont choisi de rester chez eux, enlevant de fait, intérêt et surtout crédit aux décisions que le Sommet de Damas doit prendre aujourd'hui et demain. Ce qui, une fois encore, fera le jeu d'Israël et des Etats-Unis. Les mêmes Arabes, qui se sont fait porter pâles à Damas, étaient présents en masse à la conférence d'Annapolis, qui a été, avant toute chose, un enterrement de première classe de la question palestinienne, comme en témoigne le surplace observé quatre mois après la tenue d'une conférence censée relancer le processus de paix israélo-palestinien. En vérité, M.Bush avait-il le pouvoir de réaliser en huit mois (son mandat arrive à terme le 20 janvier prochain) ce qui n'a pu être accompli en 60 ans, du fait, singulièrement, des entraves posées par Israël à une solution négociée, soutenue sans état d'âme par les Etats-Unis? Certes, non! Pendant ce temps, à Damas, les Arabes se donneront une fois de plus - celle de trop? - en spectacle étalant leur division, au grand dam d'un monde arabe qui n'en peut mais...