Cette élection, qui semble bouleverser le champ politique français, a été un déclic. «C'est affreux.» C'est le moins que l'on puisse dire du premier tour de l'élection présidentielle française. Au moment où tout le monde s'attendait à un second tour consacrant le duel traditionnel gauche/droite, l'urne, imprévisible, giflera l'ensemble de la classe politique française, la gauche surtout, qui découvrira l'extrême droite tant combattue et décriée, mais surtout sous-estimée, renaître de ses cendres et menacer ainsi la République et la démocratie. La Ve République panique et les différents acteurs politiques appellent à faire barrage au fascisme. Le Pen, lui, savoure cette victoire tant espérée et souhaite «de toutes ses fibres» rencontrer dans un face-à-face Jacques Chirac, son ennemi de toujours, dit-on. Ce dernier, malgré l'assurance de sa reconduction avec la mobilisation «forcée» de la gauche derrière lui, ne s'est pas pour autant bien tiré, vu qu'il réalise le score le plus médiocre pour un président sortant. Et les prochaines législatives vont le placer face à une triangulaire: droite-extrême droite-gauche, qui ne lui donnera pas aisément le gouvernement qu'il désire. Les données ne seront plus les mêmes. D'où l'appel du pied lancé dès hier aux Français par les chiraquiens pour leur donner la majorité aux législatives qui auront lieu dans un mois et demi. Le RPR et ses alliés craignent déjà une nouvelle cohabitation, une de trop, qui usera davantage les gaullistes. Tous les Français savent aujourd'hui, un peu tard il est vrai, que le problème de l'insécurité a été instrumentalisé à fond par Jacques Chirac. Il en a fait son cheval de bataille, lui qui n'avait pas de bilan à rendre aux Français, au point de leur faire peur et de préparer par là même le lit à un Jean-Marie Le Pen qui n'attendait que cela pour s'affirmer. Les électeurs se sont rendu compte après coup que le mal n'est pas en Jospin, que le problème de l'insécurité que connaît la France actuellement, peut trouver une solution et qu'il n'est pas aussi dangereux que le fascisme lepéniste. Le thème de l'insécurité imposé par le candidat Chirac lors de cette campagne a, en effet, occulté le bilan du Premier ministre, à savoir le recul du chômage, la croissance, les 35 heures, la couverture maladie universelle, ainsi que des réformes sociales importantes votées durant les cinq années passées. Cette élection, qui semble bouleverser le champ politique français, a été un déclic, comme il a été constaté, pour ces dizaines de milliers de jeunes - ces jeunes qui se sont abstenus où ont voté par défoulement pour l'extrême gauche - qui sont descendus le soir- même dans pratiquement toutes les villes françaises pour barrer la route à l'extrême droite, mais surtout pour se rattraper, dans un élan collectif de culpabilisation, pour les prochaines échéances électorales. La prise de conscience de voter (et de voter utile) dès le premier tour est désormais une nécessité pour ces milliers de jeunes qui vibrent au rythme de la gauche. C'est ce sursaut démocratique et républicain qui anime les socialistes qui préparent d'ores et déjà les législatives. Le départ de Jospin affecte certes les troupes du Parti socialiste. Mais, paradoxalement, sur le plan psychologique, il sert comme un élément mobilisateur, non seulement pour les militants du PS, mais pour l'ensemble de la gauche. La jeune équipe conduite par Jospin, qui sera désormais menée par François Hollande, s'est montrée, dès l'annonce des résultats du premier tour et ce, malgré l'effet de surprise, soudée capable de relever les défis à venir. Les prochaines législatives vont ainsi déterminer le futur champ politique et décideront si les communistes français, qui ont réalisé le plus bas score de leur vie, se maintiendront sur la scène.