La peur au ventre, les Français se préparent à reconduire, demain pour un second mandat, le président Jacques Chirac. La France profonde n'a pas décoléré depuis l'annonce des résultats officiels de la consultation électorale pour la présidentielle 2002 et l'avènement au second tour du leader de l'extrême droite Jean-Marie Le Pen. Une douche froide que, à l'évidence, ni le champ politique français ni les politologues et autres analystes ou sondeurs d'opinion n'avaient envisagé en réalité. L'éviction de Lionel Jospin, candidat du puissant Parti socialiste français (PS) maître d'oeuvre de la gauche plurielle, a été ressentie comme un coup de tonnerre par des Français confortablement arrimés, depuis quelques décennies, au classique duel droite-gauche qu'animaient des «bêtes politiques» de la dimension de Charles de Gaulle et François Mitterrand. Ce temps semble bien révolu et voici les Français qui se voient proposer un iconoclaste Chirac-Le Pen qui détonne dans un champ politique français que l'on disait, depuis longtemps, aseptisé, et que le danger de voir les extrêmes (de droite comme de gauche) se mêler au débat au sommet était très mince. Voir! Aussi, le réveil a-t-il été plutôt brutal, notamment pour les principaux candidats Jacques Chirac et Lionel Jospin. La sortie avant l'heure de M.Jospin qui voulait «présider autrement» aura montré que la gauche plurielle, en tombant dans la surenchère de droite, a fait tout faux, hypothéquant même pour longtemps, sans doute, l'espoir pour la gauche de reprendre la tête de la présidence française. Mais en vérité, quoique Lionel Jospin ait fait illusion un moment, il faut convenir qu'il n'avait pas la stature d'un François Mitterrand, et le PS d'aujourd'hui semble plus proche de la SFIO de Guy Mollet que du PS refondé, en 1971, par l'ancien président français de gauche. Et c'est Chirac qui se retrouve orphelin d'un véritable alter ego susceptible de poser avec lui les vrais problèmes de la France que le président sortant n'entend pas débattre avec Le Pen. Aussi Jacques Chirac s'est-il astreint tout au long de ces jours de campagne à expliquer aux Français les dangers et l'inanité du programme que son adversaire du second tour prétend appliquer, si jamais il était élu, notamment en faisant sortir la France de l'Union européenne et en rétablissant le franc, comme monnaie nationale... concurremment avec l'euro. L'arrivée de Le Pen au second tour de la présidentielle française si elle est ressentie comme «un cauchemar» par la jeunesse française, aura aussi donné un coup de fouet à un électorat qui semble mesurer l'impasse dans laquelle son abstentionnisme avait placé le pays menacé de tomber aux mains de l'extrême droite. Tomber? C'est beaucoup dire en vérité, car si, effectivement, Le Pen et l'extrême droite représentent un danger certain pour la France républicaine, au cas où Jean-Marie Le Pen réussirait à rassembler autour de lui une majorité susceptible de faire de lui un joker incontournable, en revanche, les chances de voir le leader de l'extrême droite accéder à l'Elysée sont inexistantes. Le seul coup de que Le Pen veut jouer, et tenter, c'est celui de maintenir, voire d'améliorer son score du premier tour pour prendre date pour les législatives de juin prochain. C'est le véritable enjeu de Le Pen qui espère redonner à son parti, le Front national, une dimension parlementaire, un honneur que Le Pen et ses amis ont perdu dans l'Assemblée nationale sortante où le FN n'est plus représenté. C'est cette perspective qui travaille aujourd'hui l'extrême droite désireuse de retrouver les bancs du Palais , et pourquoi pas, jouer les forces d'appoint. Crédité de 75 à 82% des intentions de vote, M.Chirac est assuré, au soir du 5 mai de succéder à lui-même. Aussi, dès maintenant, la bataille des législatives (prévues les 9 et 16 juin prochains) entre-t-elle en ligne de compte. Au cas où ni la droite traditionnelle ni la gauche plurielle n'arriveraient à avoir une nette majorité de gouvernement, tout pourra, dès lors, se jouer par l'apport d'alliances avec les familles politiquement proches. Ainsi, Le Pen prépare-t-il les législatives en escomptant confirmer le gros lot tiré au premier tour de la présidentielle 2002. Plus le taux de Le Pen sera conséquent au scrutin de demain, plus il a des chances de se mêler au duel gauche-droite qui s'annonce impitoyable. C'est seulement, à l'issue du quatrième tour (second tour des législatives fixé au 16 juin) de cette consultation électorale - marathon que l'on saura si Le Pen a gagné son pari de redonner à son parti une dimension nationale, en tirant profit des errements et fautes commises par la droite et la gauche ces dernières années. La présidentielle de demain est enfin un test majeur en ce sens qu'il donnera à voir si les Français, - qui ont montré leur indignation et leur colère au lendemain de la «victoire» de Le Pen -, auront le sursaut salvateur en consignant le renvoi de Jean-Marie Le Pen aux limbes de l'histoire.