Le cycle émeutes-arrestations ne cesse de prendre de l'ampleur. Des délégués du comité citoyen de la daïra de Guenzet, wilaya de Sétif, se sont déplacés à notre rédaction pour témoigner des derniers événements qui ont secoué leur localité le 25 mars dernier. Rachid, Zahir, Mohammed, Hassan et Halim se disent en clandestinité. Ils sont jeunes et déterminés. «Le combat continue, pacifiquement», ne cessent-ils de placer entre deux phrases. «Depuis le 25 mars, on ne peut plus retourner à Guenzet», entonnent-ils. En ce fameux 25 mars 2002, «nous avons organisé une marche pacifique en solidarité avec toute la Kabylie (Guenzet, à l'image de Beni Ourtilane et de Harbil, entre autres, sont des localités berbérophones dans le nord-ouest de la wilaya de Sétif, ndlr) Nous avons ainsi brûlé les urnes de vote pour exprimer notre refus de ces élections, mais les gendarmes nous ont provoqués avec des tirs de balles en l'air et des jets de grenades lacrymogènes», raconte l'un de nos interlocuteurs. Contacté par téléphone, le commandant Bourremana, le chargé de la communication au niveau du commandement de la gendarmerie à Alger, donne la version suivante: «Ce jour-là à Guenzet 300 jeunes armés de cocktails Molotov et utilisant des pneus brûlés ont attaqué le siège de la brigade de gendarmerie et ont même incendié un véhicule de la gendarmerie». Les délégués de Guenzet évoquent eux les 300 gendarmes appelés en renfort la nuit du 25 mars en ajoutant: «Ce ne sont pas des gendarmes, mais des «paras» sous des uniformes de gendarmes». Ils poursuivent en racontant en détails l'affrontement et la course-poursuite entre les manifestants et les gendarmes: «Ils voulaient nous pousser à fuir du côté de la montagne (Guenzet est un village perché sur une montagne abrupte, ndlr)» et nous criaient: «On va vous obliger à prendre le maquis». S'ensuivront durant la nuit également, selon ces délégués, les portes des domiciles familiaux défoncées, les bastonnades, les sévices corporels et une déferlante d'arrestations: «Ils ont tabassé des femmes, des vieilles, des mineurs avec des cravaches... Ils ont mis un vieux en slip à l'intérieur de la brigade pour nettoyer la terrasse des pierres jetées!» Le porte-parole de la gendarmerie, lui, insiste: «L'intervention des gendarmes s'est effectuée avec les moyens conventionnels des opérations de maintien de l'ordre». 19 personnes ont été appréhendées par les gendarmes, puis relâchées à l'exception de trois, selon les délégués, et de quatre selon la gendarmerie. Il s'agit de Khiar Hillal (20 ans), chômeur, de Berkat Zineddine (32), agent de sécurité au tribunal de Bougâa (à 25km de Guenzet) et de Bouâaldja Kamel, (38), déficient mental. L'arrestation de Khiar Hillal s'est effectuée à 1 heure dans la nuit du 25 au 26 mars: «Sa mère a essuyé des coups de pied», raconte l'un des délégués. «La gendarmerie exécute les ordres de la Justice dans le cadre de ses missions de police judiciaire», martèle le commandant Bourremana, en ajoutant: «Sur place, les éléments de la gendarmerie ont arrêté 4 personnes en flagrant délit, en possession d'armes blanches et ont été présentées au procureur de Bougâa. Deux d'entre elles ont été écrouées et une troisième qui avait bénéficié de liberté provisoire a été une seconde fois appréhendée et présentée à la Justice». Quant aux pratiques de torture et de mauvais traitements corporels, le commandant Bourremana précise que les personnes présentées à la justice passent automatiquement par l'examen d'un médecin légiste, et si des traces de sévices existent, elles sont immédiatement signalées par le médecin à l'autorité compétente. Le ton rassurant de l'officier contraste avec les vives inquiétudes de nos interlocuteurs de Guenzet: «Chez nous, il ne reste que les vieillards et les femmes, les gendarmes sont maintenant les maîtres absolus des lieux».