Hier, vers 14h, on pouvait voir à partir de la rampe Louni-Arezki, les mutins sur les toits de Serkadji. Une vingtaine de jeunes, agiles et décidés, criaient à tue-tête. A l'intérieur de la prison, c'est l'effervescence. Deux cents mutins ont investi les couloirs et la cour. Réputé pour être depuis la mutinerie du 22 février 1994, le centre pénitentiaire le plus sûr d'Algérie, Serkadji a encore cédé. A l'extérieur, des centaines d'hommes, de et d'enfants sont là. Venue s'enquérir de l'état de santé d'un parent ou d'un ami, riverains de la prison ou témoins de l'incendie, puis de la mutinerie, la marée humaine est difficilement contenue par les services de l'ordre et les brigades antiémeutes venus en renfort pour parer à toute éventualité. Des dizaines de véhicules de police, un apport de la gendarmerie et beaucoup de tension autour de Serkadji, qui sonne plus fort, plus «viril» chez les gens que le «centre de rééducation de Bab Ejedid», inscrit sur le fronton de l'établissement pénitentiaire. A 14h30, les mutins décident de réintégrer leurs cellules et de déléguer des porte-parole pour discuter avec le ministre de la Justice présent sur les lieux depuis le début de l'incendie, tard dans la soirée. Le semblant de calme qui revient n'est que de courte durée. Vers 16h, un autre détenu se suicide. Le nombre de morts s'élève à 19 en moins de 24 heures. Pourquoi ce suicide? Les raisons ne varient pas. Aussi bien pour le début de la mutinerie, pour la première tentative de suicide, qui avait déclenché l'incendie, les conditions de détention des jeunes sont intolérables. Il y a quelques semaines, au lendemain de l'affaire des 22 morts dans la prison de Chelghoum Laïd, l'administration carcérale avait interdit de fumer dans les cellules. Mais la cigarette comme la drogue, douce ou dure, continuaient à y entrer. C'est l'apanage des privilégiés, qui payent la tchipa, qui donnent la dîme. La hogra qui s'y pratique, la hiérarchie des radjlas, l' ité forcée sur de jeunes détenus (les damoiseaux des caïds) font que cette institution carcérale cultive en son sein la violence et les violents de demain. Les chefs islamistes ont été transférés ailleurs que dans cette prison, mais l'influence des détenus pour «qaddiya islamiyya» est évidente. Dans la prison, les halakate nourrissent la haine, vérifiée chaque jour, du pouvoir et exaltent les élans des «mouvements rédempteurs d'une société dissolue et d'un régime apostat». En fait, le système qui fait tourner l'Algérie dans un mouvement éternellement répétitif n'est pas seulement en train d'entretenir la violence de ces jeunes, mais crée de nouveaux monstres, qui, une fois relâchés dans la nature, seront carrément incontrôlables. Serkadji, la prison. Que fait-elle, placée là depuis longtemps? Aucune réflexion n'a été engagée par les autorités en vue de la déplacer, d'y placer un autre créneau de vie. Elle est là, présente, au centre des influences islamistes les plus radicales, comme une fabrique de machines à tuer, et l'on veut croire que les jeunes détenus s'assagiront une fois dehors. Le fait est là: tant qu'elle restera toujours l'accueillante école, tant qu'elle restera là, au centre de Bab Ejedid, il n'y a rien de bon à en tirer. Aujourd'hui, avant demain, il y a toujours à craindre, car cette fois-ci, les fauves sont lâchés.