L'effort d'humaniser ces établissements n'a pas dépassé, le stade de voeu pieux. «Toutes les sanctions visant les auteurs de négligence seront prises », déclare Ahmed Ouyahia, ministre de la Justice au sujet de l'incendie de la prison de Serkadji, mardi soir, en marge de la réunion des têtes de liste et des coordonnateurs de son parti, le RND, jeudi à l'hôtel Azur Plage de Zeralda à Alger. Pour expliquer la tentative de suicide d'un détenu de 19 ans qui a causé l'incendie faisant 19 morts, Ouyahia développe un argumentaire sociologique: une mutation qualitative de la violence dans la société et le jeune âge des détenus. Il appuie ce discours par un argumentaire durkheimien (Emile Durkheim, sociologue français auteur du Suicide son plus célèbre travail) en insistant sur l'ampleur que prend le phénomène du suicide. Ouayhia a été incapable de préciser la nature de la condamnation du jeune détenu qui voulait se suicider la nuit de mardi. Mais le ministre de la Justice n'oublie pas de parler des conditions inhumaines dans le milieu carcérale. «Je ne peux démentir qu'il existe des dépassements dans les prisons, ni qu'il y ait un trafic de drogue et je ne peux exclure des complicités internes», consent-il. Et Ouyahia de poursuivre, que l'amélioration des conditions de détention dans les prisons algériennes est urgente. «Tout doit être revu», résume-t-il en plaçant ces actions dans «le vaste champ des réformes du secteur judiciaire». Des réformes, insiste Ouyahia, conditionné par «un changement de mentalité». «Il existe des juges qui voient dans chaque homme menotté un condamné d'avance», regrette-t-il. Réagissant à une question sur l'abus de l'emploi de la détention préventive comme l'une des raisons du surpeuplement des prisons, le ministre rebondit en rappelant que l'une des victimes de l'incendie de la prison de Chelghoum Laïd était un jeune en détention préventive pour avoir volé un... pantalon. «On ne peut supprimer la détention préventive. Vous pouvez avoir affaire à l'assassin de deux ou trois personnes..., mais sans que cela implique que cette personne perde ses droits civiques», précise Ouyahia. Me Miloud Brahimi, dans un entretien au journal Le Matin, a déclaré jeudi: «Il suffirait d'une circulaire de la part du ministre de la Justice aux procureurs et aux chefs de juridiction pour entraîner une baisse drastique des détentions arbitraires, donc le soulagement de la population carcérale (...) la détention préventive est devenue une véritable condamnation préventive.» L'état d'urgence, en application depuis février 1992, est évoqué par des observateurs comme environnement encourageant de ces abus. La population carcérale, selon des chiffres officiels, est passée de 29.000 à 42.000 détenus. Cela dépasse d'au moins 8000 les capacités nationales de détention. La promiscuité des espaces dans le milieu carcéral, les viols homosexuels, la traite des et des mineurs, le trafic de drogue, les mauvais traitements, la torture, etc. Nos prisons sont devenues de véritables mouroirs. L'effort d'humaniser les prisons en Algérie n'a pas dépassé, semble-t-il, le stade de voeu pieux. La ration alimentaire du prisonnier algérien plafonne à... 50 DA! Mercredi, Ouyahia a reconnu que des mesures n'ont été prises - pour «doter les établissements pénitentiaires en moyens de lutte contre les incendies» - qu'après les incidents des prisons de Mostaganem et de Chelghoum Laïd. Et lorsque des journalistes questionnent Ouyahia si sa tête est visée, il rétorque, sourire au coin: «En tant qu'homme public, je suis comme un gladiateur dans l'arène. On est prêt à tous les coups...même aux peaux de banane de temps en temps.» Reste à savoir contre qui Ouyahia le «gladiateur» croise le fer et le trident? L'entourage du secrétaire général du RND évoque l'opposition à toute «période de transition» et Ouyahia lui-même a comparé les personnalités qui sont montées au créneau pour demander le départ de Bouteflika et l'intervention d'«el djeïch»aux ours polaires qui sortent hébétés de leur longue hibernation. «Ceux qui vont mourir te saluent, César!», lançaient les gladiateurs à l'empereur romain en entrant dans l'arène.