Que savent les Français du passé du candidat d'extrême droite, qui sollicite aujourd'hui leur suffrage? Décidément obsédé par l'Algérie dont il n'arrive toujours pas à concevoir qu'elle est indépendante et souveraine, Le Pen qui n'est plus à une outrance près, promet tout simplement aux harkis «la libre-circulation entre la France et leur pays d'origine!» Curieux et tardif intérêt envers une communauté qu'il taxait hier encore, et avec mépris, de «Français sur papier timbré». Cette communauté harkie que lui et ses pareils ont odieusement exploitée, en lui faisant commettre les pires atrocités contre son peuple avant de l'abandonner dans les conditions indignes que tout le monde connaît. Les promesses électoralistes de cet individu prêteraient à rire si elles n'impliquaient pas un Etat souverain qui a, conformément à la morale et au respect dû à son peuple, exclu de ses rangs, les alliés de l'ennemi d'hier. Mais puisque Le Pen ose de nouveau parler de l'Algérie qu'il a fréquentée avec assiduité durant notre Guerre de libération, voyons la «marque de fabrique» qu'il a imprimée à ses séjours dans notre pays. Auparavant, il est utile de préciser qu'à l'époque en tout cas, il était loisible à tout individu de s'engager dans l'armée pour une période qu'il déterminait lui-même et dans l'arme de son choix. C'est avec ce statut de mercenaire et avec le grade de lieutenant parachutiste que le député poujadiste du 5e arrondissement de Paris, Le Pen, débarque à Alger dans les bagages du général Massu. Autre particularité de ce sinistre personnage: il n'a exercé son ignoble activité de tortionnaire et de criminel de guerre qu'à Alger. Il n'a jamais participé à une quelconque opération face aux combattants armés de l'ALN. Ce «héros bardé de médailles» n'officiait qu'intra- muros! Et selon son «père spirituel», le te Pierre Poujade, à qui il doit d'ailleurs sa carrière politique, Le Pen n'a jamais été vu durant la guerre d'Indochine en première ligne face aux vaillants combattants viet-cong. Il rencontrait les «soldats de la boue» de l'armée coloniale non dans les rivières, mais dans les lupanars de Saïgon. Voyons maintenant en quoi consistaient les «hauts faits d'armes» de Le Pen à Alger: il faisait irruption - la nuit et à l'abri du couvre-feu - dans des maisons de La Casbah en vociférant devant des enfants, des et des vieillards terrorisés (les hommes ayant été tous «embarqués»): «Vous avez des matelas, des tables, des chaises. Il y en a même qui ont le TSF! Mais qu'est-ce qu'il vous faut de plus!» Et courageusement, il saccageait ces pauvres intérieurs où la misère, à ses yeux, n'était pas trop grande. Entre autres crimes, les activistes ultras avaient créé un centre de torture à la villa des Sources (Bir Mourad Raïs) et ce, au vu et au su de toutes les autorités officielles de l'époque. Le Pen était un habitué des lieux où le fin du fin était de s'y rendre en couple, assister au supplice d'Algériens. Parmi les basses oeuvres qui lui étaient dévolues durant la Bataille d'Alger, Aussaresses (alors commandant), devait faire disparaître les corps des Algériens morts sous la torture ou sommairement exécutés et achever ceux qui n'étaient plus «présentables». Le lieutenant Le Pen était un pour régulier d'Aussaresses. Le 31 mars 1957, à 2 h, il a traîné à la villa Susini, pour l'y torturer, le veilleur de nuit de l'hôtel Albert 1er, qui avait osé refuser de lui servir à boire, l'heure des consommations étant passée et le lieutenant déjà ivre. Et ce témoignage recueilli par Henri Alleg dans son livre Prisonniers de guerre (Ed. de Minuit, pages 84/85). «Lakhdar, ancien policier affecté à la garde de la salle des détenus» à l'hôpital Mustapha et aujourd'hui incarcéré raconte: «Au lendemain de la grève de février 1957, Le Pen plastronnait avec son équipe de «durs» au marché Clauzel. (...) Il s'approchait, avec un sourire aimable, d'un marchand algérien: - Et toi? Tu as fait la grève parce que tu avais peur du FLN? (...) Dis oui et c'est fini! Pour avoir la paix, le marchand faisait un signe affirmatif. Sur l'instant, les poings de Le Pen et des autres s'abattaient sur lui; la mise à sac de la boutique commençait, l'étal était renversé sur le marchand roué de coups, et Le Pen, avant de passer au suivant, concluait: * Maintenant, tu sauras qu'il faut avoir plus peur de nous que du FLN...» Lakhdar reprend: - J'étais de garde. Donc Le Pen réclame un homme qu'on avait amené la veille, blessé d'une rafale. Il avait été opéré et il était encore «sonné», intransportable. Je lui montre le lit et je lui dis : «Vous ne pouvez pas l'emmener, regardez-le.» Le Pen me répond: «On signera une décharge, ne t'occupe pas! Pour où il va, ça n'a pas d'importance... Tu peux lui dire adieu.» Ils l'ont emmené sur un brancard, et le lendemain, j'ai lu son nom sur l'Echo d'Alger: « X... dangereux terroriste, abattu au cours d'une tentative de fuite.» Ce matamore, chez qui la lâcheté le dispute à la crapulerie, ne vit que de l'esbroufe et de haine. A l'instar de son acolyte Aussaresses, il faisait même peur aux autres tes. Ainsi, au lendemain de la kermesse du 31 mai 1958, le «coloniste» Alain de Serigny nous apprend que Le Pen a été expulsé d'Algérie: «Furent refoulés le 20 mai (1958), les députés Le Pen et Demarquet que l'on réembarque de Maison-Blanche pour Madrid. Ils y restèrent quelques jours, puis demandèrent au général Massu l'autorisation de rejoindre leur ancien régiment ; ce qui leur fut accordé. Ils n'y restèrent que deux jours sous l'uniforme, puis, assurés qu'à Paris on ne leur tiendrait pas rigueur de cette escapade, ils regagnèrent la métropole». («La Révolution du 13 mai. Ed. Plon - pages 102 - 103). C'est là, tout Le Pen, dans toute sa lâcheté abyssale! Et notre contribution est loin d'être exhaustive. En fait, si Le Pen se retrouve aujourd'hui sous les feux de l'actualité et prétend même présider aux destinées de la France, il le doit en grande partie à la politique de cécité et d'amnésie des différents gouvernements français qui se sont succédé depuis 1962. Si le devoir de mémoire, de vérité et de justice avait été accompli à l'égard du peuple algérien, et aussi du peuple français, Le Pen, criminel de guerre, aurait rejoint depuis longtemps la seule place qui lui sied: les poubelles de l'Histoire. Mais l'Histoire ne revient pas en arrière!