Malgré tous ses efforts pour endiguer l'incendie, les flammes prennent de toutes parts. Celui qui, ces derniers temps, à l'occasion des réunions des instances dirigeantes du RND entrant dans le cadre de la préparation des listes électorales, usait et abusait des métaphores sportives pour donner du relief à ses sorties médiatiques, est maintenant rattrapé par ses propres images. Le gladiateur, qui combat dans l'arène en assénant des coups avec son trident, le footballeur qui drible balle au pied en milieu de terrain, le prestidigitateur qui a si bien appris à triturer les listes pour venir ensuite se présenter en défenseur de la veuve et de l'orphelin, est aujourd'hui seul dans la fosse aux lions et tout le monde se demande encore de quoi il est encore capable pour sauver un avenir politique décidément mis en péril. C'est cette impression de caméléon, voire d'anguille insaisissable, capable de se couler dans plusieurs costumes en fonction des circonstances, qui a fait de lui un homme dangereux aux yeux de ses adversaires. Enarque, commis de l'Etat, ministre de la République et détenteur du maroquin convoité de garde des Sceaux, ancien Chef du gouvernement, il est capable de changer de casquette au gré du vent. Mais ce qui le rend encore plus redoutable, c'est d'être à la tête de la première formation politique du pays, dominante au Parlement et dans les Assemblées locales élues, même si de nombreux postes ministériels lui ont échappé. Il a déclaré lui-même: «Je suis l'homme des basses besognes.» La première opération qu'il fit en tant que Chef du gouvernement fut d'opérer des ponctions sur salaire, sans demander l'avis des travailleurs auxquels il fit don de ce cadeau empoisonné. Mais il gagna un peu en galon, car on se dit un peu à l'époque: «Voilà un homme politique qui ne fait pas dans la démagogie.» Et pourtant ses autres actions furent des échecs successifs et retentissants: incarcération de centaines de cadres dans des conditions lamentables, compression des effectifs et démantèlement d'entreprises, jetant dans la rue des milliers de travailleurs en poussant de nombreux pères de famille au suicide, mais surtout il démontra son incompétence lamentable dans l'opération de privatisation bâclée qui a mis à nu les incohérences de l'Etat dans le domaine économique. Il finit son mandat de Chef du gouvernement en jetant en pâture son propre ministre de la Justice. Et pour couronner le tout, aux élections législatives de 1997, il a essayé de surfer et de naviguer entre deux eaux, ne montrant jamais ses cartes, jusqu'au jour où il fit un enfant dans le dos à ses propres partenaires au sein de sa famille politique, en préparant le lit à la future présidentielle, à l'issue de laquelle il croit posséder une chance de devenir le premier magistrat du pays. Il joua également un rôle de premier plan dans ce qu'il est convenu d'appeler la grève du cartable en Kabylie, où il fut chargé par le Président Zeroual de négocier au nom de la présidence une solution honorable à la crise, et qui a abouti à la création du HCA, mais qui fit perdre aux enfants de la Kabylie une année de leur scolarité. En d'autres termes, Ahmed Ouyahia est partie prenante de tout ce qui a été fait au cours des années 90. Dans le domaine de la presse, Ahmed Ouyahia en tant que Chef du gouvernement fit suspendre plusieurs titres en utilisant l'argument commercial, et bloqua toute attribution d'agréments pour les nouveaux titres, ne les accordant qu'aux nantis du régime. En tant que ministre de la Justice depuis trois ans, il s'est signalé par un code pénal qui renforce les sanctions contre la presse, et en bloquant une fois de plus l'octroi des agréments aux titres spécialisés, qui sont traités au niveau de son département ministériel. En d'autres termes, ses atteintes à la liberté de la presse n'ont pas de limite. Aujourd'hui, Ouyahia est dans le brasier. Feu, contre-feu, il ne sait plus de quel côté lui viennent les coups: du secteur pénitentiaire où il n'a apporté aucune amélioration depuis trois ans, malgré les recommandations de la commission de réforme de la justice, ou du RND où il s'est comporté en véritable dictateur, bafouant toutes les règles de gestion démocratique dans la constitution des listes électorales. Le feu est dans la maison d'Ouyahia, et il ne sait pas comment s'y prendre pour endiguer l'incendie. Désespérés, des jeunes détenus sont en train de se suicider pour lui permettre d'avoir une longévité politique. Mais que se passera-t-il au soir du 30 mai, quand commenceront à tomber les résultats des élections législatives. Ouyahia bouc émissaire jettera-t-il le bébé avec l'eau de la baignoire?