On se croirait plus dans une oeuvre romanesque que dans un ouvrage politique. A entendre parler du livre La Mafia des généraux, de Hichem Aboud, on s'attend à une analyse profonde du système politique algérien et à une critique objective basée sur des arguments et des preuves tangibles. Mais au terme de la lecture, nous sommes aux prises avec une énorme déception tant le texte nous laisse sur notre faim. En effet, d'un bout à l'autre, il ne fait que reprendre les hypothèses de certains Algériens qui tentent d'expliquer ce qui se passe en Algérie depuis 1988. Même dans l'ouvrage, ces hypothèses n'ont pas franchi le stade de supputations hypothétiques et incertaines, puisque aucune explication rationnelle et objective n'est venue les corroborer. Nous pouvons affirmer sans craindre d'être contredits que concernant toutes les affaires soulevées tout au long du livre, aucune n'a été traitée de manière minutieuse de telle sorte qu'elle soit définitivement élucidée, et aucune information nouvelle ou argumentation convaincante n'a été apportée. Force est de constater qu'au fil des pages, nous passons d'une affaire à une autre, d'une accusation à une autre, mais en restant, hélas, au niveau des généralités connues de tous, ceci est d'autant plus vrai que nous nous disons que finalement le seul mérite de l'auteur, c'est d'avoir tissé avec des informations, des hypothèses, des supputations, parfois des rumeurs que beaucoup d'Algériens se racontent, un livre relativement bien rédigé. D'ailleurs, nous pensons que ce genre d'ouvrage a été conçu pour les Algériens vivant à l'étranger, surtout en France, qui, à cause de leur éloignement de la réalité du pays, pourraient se laisser emporter par ce récit qui prétend être porteur de révélations fracassantes. Pour un Algérien qui vit dans son pays, et qui se tient au courant de l'actualité, ce livre ne peut que le décevoir dans la mesure où il ne parvient, à défaut d'une méthodologie persuasive et d'informations crédibles et véritables, à le rallier littéralement à ses thèses. Prenons un exemple, au sujet de l'assassinat de Kasdi Merbah, Hichem Aboud nous dit qu'il a été assassiné par ordre de certains généraux parce que, de par sa grande connaissance des services secrets avant qu'il ne se décide à fonder son propre parti politique, il était en mesure de déjouer les plans de la mafia. Quel Algérien n'a pas déjà entendu parler de cette version? C'est une hypothèse comme une autre. A part ceci, l'auteur ne nous ramène aucune preuve réelle susceptible de nous conduire à souscrire à cette thèse. Nous constatons qu'un grand fossé sépare l'objectif de l'auteur qui est d'accabler les généraux et de les accuser de manière implacable, et la teneur de l'ouvrage qui sombre dans les généralités et les racontars dénués de toute preuve palpable et irréfutable. N'est-ce pas nuire à ses sources de citer dans le livre carrément les noms de ceux qui ont daigné tout lui dévoiler en croyant se fier à une personne de confiance. Parfois l'auteur se laisse aller à des critiques gratuites et incongrues se rapportant au physique d'une personne et non pas à ses actes. Nous pensons que reprocher à quelqu'un sa maigreur, sa laideur ou son obésité relève de l'impolitesse. A propos, par exemple, de Benabbes Gheziel, il dit ceci (p.63): «L'image que je garde de lui est celle d'un militaire qui avait du mal à entrer dans ses habits tellement il était obèse». Concernant les décideurs algériens, Hichem Aboud en fait une description que nous considérons trop schématique. Nous avons l'impression que les membres du cabinet noir comme l'appelle l'auteur est plutôt une troupe de théâtre occupée à jouer une pièce dans laquelle chacun se contente de camper son rôle. Ainsi, le général-major Tewfik est le scénariste dans le club; le général Touati en est la tête pensante, ainsi de suite. Les choses, à notre sens, sont autrement plus complexes. Par ailleurs, signalons certaines contradictions qui nous ont frappé à la lecture de l'ouvrage. Nous lisons à la page 205 ceci: «Je ne peux affirmer que des massacres de paisibles villageois aient été commis par des militaires». «Je ne saurais y croire. Je ne crois pas non plus aux allégations de certains journalistes occidentaux ou de pseudo-témoins qui rapportent des histoires rocambolesques «de militaires portant de fausses barbes déguisés en islamistes, afin de perpétrer des massacres de civils». Ce paragraphe est clair comme de l'eau de roche. L'auteur est persuadé que les massacres ne peuvent être commis que par les terroristes. Toutefois, nous tombons des nues quand quelques pages après (p.216) nous lisons ceci: «Des amis policiers dont je ne peux mettre en doute l'intégrité, m'ont avoué que des dizaines de leurs collègues avaient sombré dans la drogue, l'alcool et la folie pour avoir participé ou assisté à des massacres et des tortures. Ils ont joué aux bouchers...». Ces massacres sont-ils l'oeuvre des terroristes islamistes ou des militaires ou policiers? L'auteur entretient sans doute délibérément le doute. A ce propos, Hichem Aboud affirme que le colonel Bachir Tartag lui avait confié que ses hommes procédaient à des sorties de nuit pendant lesquelles ils allaient au domicile des terroristes, frappaient à leur porte et abattaient de sang-froid celui qui ouvrait la porte, qu'il soit le père du terroriste, son frère ou son cousin, et ce, dans le but de pousser les terroristes à ne pas se réfugier chez eux. Nous pouvons témoigner que cela est complètement erroné. Nous avons eu l'honneur de prendre part à ces opérations, mais nous affirmons que nous procédions à l'arrestation des éléments réellement impliqués dans des actes terroristes, tout en traitant leur famille avec beaucoup d'égards et de respect. Nous sommes convaincus à présent que cet ouvrage manque affreusement d'objectivité. Dans un livre sérieux dont le but est de démontrer à quel point certains généraux sont responsables des malheurs de l'Algérie, la moindre des choses est d'utiliser un style sobre, précis, et une démarche analytique, qui conduisent le lecteur, chapitre après chapitre, à épouser complètement les idées de l'auteur. Cela n'est malheureusement pas le cas. L'auteur se laisse aller au style littéraire. On se croirait plus dans une oeuvre romanesque que dans un ouvrage politique. Plusieurs discussions entre protagonistes sont rapportées comme si l'auteur y avait pris part. Il prend l'allure du romancier selon la conception classique, lequel comme un démiurge est au courant de tout. Citons un exemple pour montrer à quel point le livre s'apparente à une fiction où les personnages tiennent des propos que l'auteur lui-même a imaginés et qu'il veut évidemment que les lecteurs prennent pour de la vérité. Nous lisons à la page 136 ceci: «Autre tête jetée en pâture à la colère populaire du FLN, Mohamed Chérif Messaâdia. Le président Chadli le convoque et lui dit: «Si Mohamed Chérif, les temps sont difficiles, tu es fatigué. Tu dois partir.» Sans se laisser désarmer, Messaâdia utilise le même registre hypocrite. «Non, Monsieur le Président, je suis toujours à tes côtés. Je ne te laisserai pas seul dans cette mauvaise passe. Je suis toujours prêt à me sacrifier pour la révolution.» Mais il ne peut convaincre Chadli qui a déjà pris la décision de sacrifier ce symbole des forces rétrogrades, et qui finit par lui lâcher: «Si Mohamed Chérif, le peuple ne t'aime pas. Va te cacher pour quelque temps». Nous comprenons bien que l'usage du style direct vise à rendre les scènes plus présentes et plus vivantes, mais cela est surtout valable dans la narration romanesque; dans un ouvrage de critique et d'analyse politique, cette procédure empêche le lecteur de souscrire aux idées développées parce qu'il se sent dans un roman où l'imagination et la fiction l'emportent sur la réalité objective. Vers la fin du livre, l'auteur appelle le Tribunal pénal international à procéder au jugement des généraux algériens qui sont, à ses yeux, pires que Milosevic qui, lui, a été traduit devant ce tribunal. D'ailleurs l'auteur affirme que la raison d'être du TPI c'est justement de poursuivre les généraux algériens, sinon il vaut mieux qu'il soit dissous. Lisons ceci : «Si le TPI refusait de prendre en charge le dossier des généraux mafieux et de leurs complices, il n'aurait aucune raison d'exister. Milosevic est un enfant de choeur face à Nezzar et ses compagnons». Ce que Milosevic a fait n'est, selon Hichem Aboud, absolument rien par rapport à ce que les généraux algériens auraient fait. Essayons d'y voir un peu plus clair. Milosevic a procédé à une opération d'épuration ethnique en tuant des centaines de milliers de personnes. Supposons que les généraux décriés soient réellement responsables de toutes les victimes de la tragédie nationale, c'est-à-dire à peu près 200.000 morts selon les chiffres de l'auteur. Quoi qu'il en soit, le nombre des victimes de Milosevic est nettement supérieur aux victimes de la tragédie algérienne. Mais comble du paradoxe, c'est que l'auteur lui-même reconnaît que les 200.000 personnes ont été tuées par des islamistes dont les commanditaires coulent des jours heureux dans les pays auxquels justement il demande de traduire en justice les généraux algériens. C'est au début de l'ouvrage que nous lisons ceci (p.13): «Les attentats de Washington et New York sont venus à point nommé rappeler aux Occidentaux que plus de deux 200.000 Algériens sont morts en dix ans, dans une guerre que leur ont déclarée des barbus installés dans les capitales européennes, sous la protection de leurs services secrets». Avant de clore cet article, nous croyons bon de signaler que face à la tragédie qui frappe notre pays, les Algériens se scindent en deux catégories, la première se consacre corps et âme à combattre le fléau du terrorisme, la seconde, au contraire, s'emploie à entretenir ce phénomène pour qu'elle vive en parasite sur les cadavres des victimes innocentes. Nous pensons que ceux qui tiennent coûte que coûte à rendre ceux qui s'échinent depuis des années à éliminer le terrorisme islamiste responsable de la tragédie algérienne vise plutôt à enflammer davantage la situation dans le pays, à saper la volonté des combattants et à remettre en selle les islamistes. L'auteur de La Mafia des généraux s'inscrit dans cette démarche, outre son souci de pouvoir bénéficier, grâce à cet ouvrage, de l'asile politique. Par ailleurs, nous pensons qu'il y a des personnalités influentes au sein du pouvoir qui sont complices pour des intérêts politiques malsains.