Le chef de l'Etat français joue gros dans un processus de réforme institutionnelle qu'il a voulue. Les 906 parlementaires français devaient se réunir hier en Congrès à Versailles pour se prononcer sur une réforme des institutions voulue par Nicolas Sarkozy, lors d'un scrutin dont l'issue restait à quelques heures du vote, incertaine. Les milieux politiques accordaient un léger avantage au «oui» lors du vote prévu en fin d'après-midi d'hier, mais soulignaient que tout se jouerait à quelques voix. Un rejet du texte constituerait un revers de taille pour le chef de l'Etat, qui est personnellement intervenu auprès de la poignée d'élus de son camp tentés par un vote contre et susceptibles de faire basculer le résultat. Ces élus, dont certains affirment avoir subi des «pressions», disent redouter un régime «hyperprésidentiel» qui trahirait l'esprit de la Constitution élaborée par le général de Gaulle en 1958. L'opposition de gauche dénonce la mise en place d'une «monocratie» au profit de Nicolas Sarkozy. La réforme remanie largement la Constitution actuelle, dont elle modifie environ la moitié des articles. Elle est présentée par la majorité de droite comme un moyen de renforcer les pouvoirs du Parlement. L'opposition estime qu'elle accentue surtout ceux du chef de l'Etat en lui permettant notamment de s'adresser au Parlement une fois par an, comme le fait le président américain. Au total, 576 députés et 330 sénateurs ont été convoqués pour voter sur ce texte, dont l'élaboration a pris plusieurs mois. Le Congrès est réuni dans une aile du château de Versailles, à l'ouest de Paris. Pour être définitivement adopté, le texte doit être approuvé par au moins 60% des suffrages exprimés. Le parti majoritaire UMP et ses alliés centristes représentant en théorie 58,5% des élus des deux chambres, chaque voix est courtisée. Le président de l'Assemblée nationale, l'UMP Bernard Accoyer, a assuré hier matin que «l'incertitude» restait de mise sur le résultat final. «Le grand suspense», titrait le journal populaire Le Parisien en affirmant que Nicolas Sarkozy «joue gros» car un échec pourrait «freiner l'action réformatrice du gouvernement». Pour Libération (gauche), M.Sarkozy a d'ores et déjà modifié de facto les institutions en concentrant entre ses mains «l'essentiel des pouvoirs» au détriment de son Premier ministre. Le Figaro (droite) souligne pour sa part que le président «s'appuie sur l'opinion publique pour gagner la bataille du congrès», les principaux points de la réforme étant approuvés par les trois-quarts des Français selon un récent sondage. Le texte donne au Parlement plus de moyens de contrôle et d'initiative et instaure la possibilité de référendums d'initiative populaire. Il revient sur un principe datant de 1875, qui interdit l'enceinte du Parlement au président au nom du principe de séparation des pouvoirs. Le chef de l'Etat conserve une immunité quasi totale mais ne peut pas effectuer plus de deux mandats consécutifs. La réforme maintient le principe d'un référendum pour toute nouvelle adhésion à l'Union européenne. Mais ce verrou peut sauter si les trois-cinquièmes du Parlement autorisent le président à choisir la voie parlementaire, une disposition qui a suscité la colère des souverainistes de droite farouchement opposés à une adhésion de la Turquie. Malgré ses appels à transcender le clivage droite-gauche, M.Sarkozy n'a pas cédé aux principales demandes des socialistes, en particulier sur une modification du mode de scrutin au Sénat (chambre haute du Parlement), actuellement très favorable à la droite. Dans le camp socialiste, l'ancien ministre Jack Lang est le seul à avoir annoncé qu'il voterait pour la réforme, à l'élaboration de laquelle il a participé. Communistes et écologistes voteront contre.