En décidant d'interdire aux députés de son parti d'exercer des fonctions de coordinateurs au sein des bureaux communaux ou de wilaya, Ahmed Ouyahia les a, en somme, coupés de leur base, qui est en droit aujourd'hui de leur demander des comptes, en leur disant: «Où étiez-vous pendant ces cinq dernières années?». Pourquoi ont-ils laissé faire et pourquoi ne se sont-ils pas rebellés en temps opportun contre une décision qu'ils jugent aujourd'hui arbitraire? On est certainement là dans le noeud du conflit des députés, qui voyaient, selon leurs dires, Ahmed Ouyahia commettre des erreurs dans la gestion du parti, ont mis beaucoup de temps, beaucoup trop de temps à réagir, et donc aujourd'hui, ils ne font que payer, mais au prix fort, leur immobilisme d'antan. La fronde de M.Nouasri et de son comité de sauvegarde du RND n'aura sans doute pas de conséquences sur la suite de la carrière de M.Ouyahia, qui est beaucoup plus liée aux résultats du scrutin du 30 mai, non seulement parce que le SG a verrouillé le jeu pour rester le seul maître à bord, mais aussi parce que, de toute évidence, les militants du RND ont un oeil rivé sur les législatives et un autre sur les élections locales qui viendront juste après. En revanche, si le score du RND est faible au matin du 31 mai, beaucoup de têtes vont tomber et le paysage politique en sera profondément modifié. Cependant, il ne fait aucun doute que le bras de fer engagé par M.Nouasri et certains de ses collègues, même s'il n'aboutit pas au rééquilibrage des forces au sein du RND, aura cela d'intéressant: mettre à nu, aux yeux des observateurs, les dessous du fonctionnement du premier parti d'Algérie. Certes, il y a une cuisine interne au RND qui peut être rébarbative, mais beaucoup d'autres aspects peuvent fournir une mine d'informations de première main. En remettant sur le tapis les critères de sélection des candidats édictés par M.Ouyahia, les députés Nouasri et Kahlouche veulent démontrer que M.Ouyahia a été le premier à violer ce qu'il a lui-même mis en place. Passons sur les exigences d'âge, de diplômes, de compétence, de bonne moralité et ne braquons le projecteur, comme l'ont fait MM.Nouasri et Kahlouche, que sur le dernier critère: les députés doivent avoir participé à la vie du Parlement, par des questions au gouvernement, des prises de parole en plénière, des propositions d'amendement. Partant de ce postulat, Ahmed Ouyahia a affirmé avoir nettoyé les écuries d'Augias en éliminant la candidature de 120 députés sortants. Et ce, en prétextant leur faible rendement lors de la précédente législature. Pour leur part, les détracteurs du SG soutiennent mordicus que les députés éliminés sont ceux qui dérangent. Par leurs propositions, leurs amendements, leur participation effective à la vie du Parlement, ils auraient mis dans la gêne la direction de leur parti. «Nous avons été sanctionnés, parce que M.Ouyahia veut des députés dociles et malléables», affirme M.Kahlouche. La morale de cette histoire est simple à tirer: les députés ne sont plus des représentants du peuple, mais des fonctionnaires au service de la direction d'un parti. En d'autres termes, les critères de sélection tels qu'édictés et appliqués par M.Ouyahia, ont pour objet d'opérer une purge qui ne veut pas dire son nom, et ce, dans le plus pur style stalinien. «En éliminant les deux tiers des députés sortants, M.Ouyahia donne une prime à de nouvelles têtes novices et inexpérimentées, auxquelles il faudra cinq bonnes années pour se familiariser avec les arcanes et le jargon juridique de l'Assemblée nationale», affirme M.Nouasri. «Mais, ajoute-t-il, ce que nous disons à propos du RND ne concerne pas seulement le RND, mais l'ensemble des formations politiques.» En fait, les groupes parlementaires ne jouent pas le rôle qui devrait être le leur quant à la sensibilisation du député sur l'opportunité de tel ou tel projet de loi. On se contente de lui dicter dans quel sens il doit voter. «Ils veulent faire de nous des béni-oui-oui.». Cinq projets de loi ont été proposés par les députés au cours de la précédente législature, mais aucun n'a abouti. Et cela veut dire quoi, sinon qu'il n'est pas attendu de l'élu du peuple de réfléchir et de contribuer à l'enrichissement de la législation, mais seulement de voter oui ou non en fonction de la conjoncture. Cette position d'attentisme détonne avec le statut du député, qui jouit de l'impunité parlementaire et auquel la loi donne de larges prérogatives dans le domaine du contrôle à tous les niveaux.