La sonnette d'alarme est tirée: la mouvance islamiste menace de rafler la mise. De réguliers sondages d'opinion sont effectués par les services compétents pour déterminer la tendance générale de l'électorat algérien. Tous les résultats, apprend-on, annoncent un retour en force de la mouvance islamiste. Le parti de Djaballah, donné grand favori du scrutin du 30 mai prochain, aurait réussi à s'implanter en force à l'est du pays. Ce parti, craint-on, pourrait fort damer le pion au MSP et peut-être même aux deux grands favoris des législatives, le FLN et le RND. La première des raisons, mais non la seule, de la résurgence de ce péril a trait aux trop nombreux appels au boycott lancés par des partis issus de la mouvance dite démocrate républicaine. Outre l'ANR et le MDS dont les poids réels ne pourraient surprendre personne, l'absence du FFS et du RCD ne cessera de peser très lourd sur le taux de participation, surtout dans le centre du pays. Si les organisateurs du scrutin osent à peine espérer atteindre le pourcentage de 7% de participation afin de valider le vote à Tizi Ouzou et Béjaïa, des taux très bas sont à craindre également à Alger, à Bouira, à Boumerdès, à Tipaza et à Sétif. Ces wilayas regroupent, à elles seules, près du tiers des sièges à pourvoir au niveau de la Chambre basse du Parlement algérien. Avec une forte concentration populaire au centre du pays, après l'Est, près d'une centaine de sièges sont représentés par ces wilayas par rapport aux 389 sièges prévus à la future APN. Dans cette région, plus que dans aucune autre sans doute, le boycott pourrait se confondre avec l'abstention, c'est-à-dire le désintérêt qu'éprouvent les citoyens pour la chose politique devant les mêmes sigles, les mêmes têtes, les mêmes programmes et, en fin de course, les mêmes problèmes. Cette tendance, ne l'oublions pas, est accentuée par les actions menées sur le terrain en faveur du rejet des élections par le «Groupe des quatre». Ce dernier, fort d'un homme comme Ahmed Taleb Ibrahimi, risque de peser lourdement sur la balance du taux de participation. A cause de cette donne, donc, le restant du pays pourrait, lui aussi, connaître les taux de participation les plus faibles de l'histoire de l'Algérie indépendante. L'abstention nationale, pour rappel, était de 34,4% en juin 97, ce qui est important pour un vote de cette importance. Il avait fallu, en 91, que ce taux soit de 40% et qu'aucune fraude n'ait été exercée, pour que les islamistes, regroupés sous la bannière de l'ex-FIS, ratissent très large. Avec à peine 3 millions de votants pour 14 millions d'électeurs, le FIS s'était trouvé au seuil de la présidence de la République et ce, dans tous les sens du terme. Un nouveau drame du même genre n'est guère à exclure à cause de la conjugaison, jamais observée, générée par les trop nombreux appels au boycott et la tendance abstentionniste de plus en plus prononcée chez l'électeur algérien à mesure que ses voix et sa confiance sont soit trahies, soit mal exploitées, soit instrumentalisées. A l'instar de l'extrême droite européenne, les islamistes sont les seuls partis à profiter pleinement de pareilles conjonctures. En mobilisant au maximum leurs militants et sympathisants, ils peuvent décrocher le «jackpot» tout en étant loin de la majorité comme cela avait été le cas en 91. Le Président Bouteflika, qui a encore rappelé à partir de Chlef que toutes les garanties seront apportées pour le déroulement d'un scrutin parfaitement transparent, a mis clairement la balle dans le camp du citoyen trop longtemps traité comme un mineur. Le «citoyen-électeur», en filigrane, est appelé à saisir les enjeux de ce scrutin pas comme les autres et, donc, à se montrer digne de la confiance qui sera placée en lui. Si certains médias prônent franchement la thèse du boycott, c'est qu'ils doivent «espérer» une déferlante islamiste. Celle-ci justifierait alors un second appel par certains journaux acquis aux thèses éculées des éradicateurs pour une intervention directe de l'ANP afin qu'elle remette entre les mains de leurs amis démocrates républicains un pouvoir qu'ils ne peuvent jamais décrocher par la voie démocratique, celle des urnes. Ces données, qui ne sont que des prévisions, pourront-elles changer entre-temps? Il appartient, surtout, aux partis démocratiques en lice de faire en sorte que leur campagne électorale soit au diapason des desiderata populaires, tellement exacerbés qu'ils ont fini par s'exprimer de manière violente presque aux quatre coins du pays. La suite des événements, bon gré mal gré, dépendra en grande partie du ton que prendra la campagne électorale des partis en lice. Si les islamistes excellent dans l'art de manier les discours populistes, il appartient aux défenseurs de la République présents sur les listes de candidatures de quitter les sentiers battus des lieux communs et des promesses électoralistes sans lendemain pour développer un discours réaliste, réalisable et proche des vraies aspirations des populations telles que celles concernant l'eau, le chômage, le logement, le pouvoir d'achat, le respect des lois et de la dignité humaine...