«Le cinéma algérien est orphelin», affirme le cinéaste aux multiples casquettes, faute d'une réglementation solide délimitant la profession. Produire un film en Algérie relève du miracle. A fortiori quand l'argent octroyé à la culture ne dépasse pas les 0,03% du budget de l'Etat. Surtout quand les caisses du Fdatic (organisme d'aide au cinéma) crient au vide sidéral. En attendant, les cinéastes n'ont que leur savoir-faire pour survivre dans cette jungle. «A-t-on de vrais producteurs dans notre pays?» c'est la question que se pose Bachir Derraïs à la faveur d'une rencontre avec les journalistes de L'Expression dans le cadre de la rubrique «A Coeur ouvert». Et de souligner: «Si en France les chaînes sont obligées de coproduire et acheter les films à hauteur de 40%, qu'en est-il en Algérie? Pourquoi les patrons de ces grosses chaînes comme les chaînes satellitaires arabes Art et Al Jazeera qui sont installées en Algérie, par exemple, ne font-elles pas de même? En vendant leurs cartes d'abonnement, ils pourraient payer aussi des taxes à l'Etat et participer à la coproduction du cinéma en Algérie.» La formule chez nous est une équation conjuguée à l'indéfini. «Avec 100.000 DA tu ouvres ta boîte. Le producteur va chercher de l'argent soit du côté du ministère de la Culture, soit à la Télévision algérienne et puis les sponsors et comme en Algérie c'est le pays des occasions, on en profite...» Les occasions dont Bachir Derraïs fait mention sont, entre autres, «l'Année de l'Algérie en France» et «Alger, capitale de la culture arabe». Mais jusqu'à quand nos cinéastes resteront-ils tributaires de ces occasions sporadiques? «Je suis contre le consommable. Il faut construire pour l'avenir. On se doit d'être responsables. C'est l'argent du contribuable qui est en jeu. Il faut commencer par organiser la profession», indique cet intrépide producteur. Bachir Derraïs propose aussi, pour ce faire, d'ouvrir les salles de cinéma, de les réhabiliter et les donner en gestion à des hommes du secteur, compétents, qui sauront les gérer, et non à des commerçants. A l'Etat après de les contrôler, de les subventionner et de réguler le marché du film en protégeant notamment, les entrées en pénalisant le piratage. «Aujourd'hui les réalisateurs sont dans l'obligation d'aller chercher eux-mêmes le financement. Le passage de l'économie dirigée à une économie de marché a conduit à la dissolution des boîtes de production étatiques qui paient les frais de ce changement politique brusque, sans qu'ait été prévu un système de transition. Ces réalisateurs salariés étaient des assistés. Il n'avaient pas l'expérience du terrain». Aussi, pour Bachir Derraïs, il ne faut pas se voiler la face, tous les films algériens valables, exportables, sont ceux coproduits ou financés par des producteurs étrangers, car ceux-ci sont réalisés dans les normes internationales. Chouchou, le film du réalisateur algérien Merzak Allouache, est, selon lui, un film français, et n'a d'algérien que le réalisateur. «Le cinéma algérien est orphelin. Les cinémas japonais, roumain au Festival de Cannes, avaient leur ministre de la Culture derrière eux. Pour créer du cinéma, il faut des hommes puissants. Où sont-ils aujourd'hui? L'Etat doit avancer des subventions, pour que le producteur puise trouver des financements ailleurs.» Il en donne pour exemple le cas de la France qui possède des mécanismes de financement qui n'existent pas ici. En effet, le CNC prélève 14% des recettes des salles au profit du financement des films. Bachir Derraïs propose aussi de construire des multiplexes. «C'est aux institutions comme des centres indépendants à gérer ces salles. Il faut supprimer aussi les taxes dont la TVA de 19% et celle de l'importation du film de 23%. Il faut défendre cela auprès du ministère des Finances. Pour l'instant, on pénalise la profession. Il n y a pas de volonté politique claire. Beaucoup de films financés par l'Etat n'ont été vus nulle part...» Evoquant le système de la coproduction, seule façon, selon lui, de financer un film aujourd'hui, Bachir Derraïs estime que parfois cela l'astreint à accepter d'être minoritaire dans le montage financier. «France2 a voulu que Miloud Khatib dans Morituri soit remplacé par Sami Naceri, Okacha Touita a refusé.» Mais combien d'autres cinéastes pourront faire ce choix, se demande-t-il. «La réalité est amère. Que dire des réalisateurs de courts métrages qui se trouvent abandonnés. Un long métrage se tourne avec pas moins de 10 milliards de centimes. Il est impossible de produire un film de façon indépendante...», et de renchérir: «Chez nous les dirigeants sont dépassés, pas à jour. Au Maroc et en Tunisie, si. D'où mon conflit avec le ministère de la Culture, c'est moi qui suis sur le terrain.. Pour moi, le ministère de la Culture ou la Télévision sont des partenaires. Mais le producteur c'est moi...On ne me convoque pas dans un bureau pour signer un contrat obsolète. Le cinéma algérien est en otage. Moi, j'ai la possibilité de faire des films à l'étranger, mais ceux demeurés en Algérie n'ont pas les moyens...» Bachir Derraïs reconnaît volontiers l'apport de la Télévision algérienne dans le cadre du financement des films: «Abdou Benziane (ancien directeur de la télévision), il faut lui reconnaître le fait d'avoir instauré la politique de la coproduction, relancée par Hamraoui Habib Chawki (actuel directeur de l'ENTV). La télé coproduit environ une trentaine de films par an, rien ne l'y oblige. Il n'y a pas de loi pour ça. C'est une question d'homme. Comme il n y a pas de lois qui défendent le cinéma, on dépend donc des hommes», conclut-il.