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«Messi n'est pas Maradona»
ROBERTO SENSINI
Publié dans L'Expression le 07 - 09 - 2008

Selon lui, il n'y a eu et il n'y aura qu'un seul Maradona.
En 20 ans de carrière comme joueur professionnel, l'Argentin Roberto Néstor Sensini a eu l'occasion de disputer un certain nombre de matchs importants. Disons même un grand nombre. Sous le maillot albiceleste, il a participé à trois Coupes du Monde de la Fifa et un Tournoi olympique de football. Après une courte expérience comme entraîneur du club frioulan, il a retraversé l'Atlantique afin de prendre les rênes d'Estudiantes de La Plata. A bientôt 43 ans, l'entraîneur que les Argentins surnomment «Boquita» a accepté de répondre aux questions de FIFA.com. L'occasion pour lui d'évoquer son présent, son passé mondialiste et l'avenir de l'équipe d'Argentine.
Roberto Sensini, vous habituez-vous aux exigences du poste d'entraîneur dans votre pays? On sait qu'en Argentine, les techniciens font très vite les frais des mauvais résultats...
Oui, je m'habitue. Notre troisième place dans le tournoi de clôture, le semestre dernier, m'a donné un certain crédit. Mais vous savez, il n'y a pas qu'en Argentine que les entraîneurs se retrouvent rapidement sur la sellette. Prenez l'Angleterre. La saison dernière, Chelsea a été en course pour le titre jusqu'à la dernière journée et a même disputé la finale de la Ligue des champions. Pourtant, le coach [Avram Grant] a été remercié. En Italie, l'Inter a été champion, mais Roberto Mancini n'est plus entraîneur. Il est certain qu'il ne suffit plus de gagner. Il faut le faire rapidement et souvent. De nos jours, on juge un entraîneur sur quelques semaines. Cela oblige à travailler vite et quand on travaille vite, on commet plus d'erreurs. Cela étant, je crois que les entraîneurs argentins, comme les joueurs du reste, savent s'adapter à beaucoup de choses.
Quelle est la principale différence entre le métier de footballeur et celui d'entraîneur?
En tant qu'entraîneur, dès le coup de sifflet final, vous devez vous projeter sur le prochain match. Cela signifie passer les troupes en revue, voir qui sera en état pour le prochain match. Vous devez, en permanence, gérer l'équipe afin d'en tirer les meilleurs résultats. Vous êtes toujours en train de chercher la meilleure solution avec le groupe qui est à votre disposition. Comme joueur, en revanche, on aborde les choses de façon plus individualiste.
Marcelo Bielsa, Carlos Bilardo, Daniel Passarella...Vous avez eu quelques-uns des plus grands entraîneurs argentins. Lequel vous a le plus marqué?
C'est difficile à dire, parce qu'ils vous apportent tous quelque chose. Bielsa et Bilardo m'ont peut-être plus marqué. Carlos, par exemple, m'a appris à jouer à tous les postes défensifs. Cela m'a été extrêmement utile en Italie. Mais il est toujours délicat de juger un entraîneur. Tout dépend de la façon dont il est perçu par le groupe, dont il arrive à faire passer son message. J'ai beaucoup d'estime pour tous mes anciens entraîneurs, même ceux qui sont moins connus que les trois que vous avez cités.
Peut-on faire un saut dans le passé et reparler des trois Coupes du Monde de la FIFA auxquelles vous avez participé?
Bien sûr!
Commençons par Italie 1990...
Au moment du tournoi, nous n'étions pas dans les meilleures dispositions. Diego Maradona souffrait horriblement de sa cheville et Jorge Burruchaga était, lui aussi blessé. Si nous sommes arrivés en finale, c'est grâce à un formidable esprit d'équipe. Mais il est évident que nous n'avons pas retrouvé le football de l'Argentine version 1986 et que nous n'étions pas aussi spectaculaires que celle de 1994.
Ce qui ne nous a pas empêchés de sortir le Brésil et l'Italie, qui jouait à domicile. Tout le monde connaît la suite. Nous avons perdu la finale sur un penalty accordé à l'Allemagne à six minutes de la fin. Ce fut très dur.
Etes-vous hanté par ce penalty que vous avez concédé sur Rudi Voeller?
Non, car même si j'avais du retard, je l'ai rattrapé et je n'ai pas fait faute. Je continue d'affirmer qu'il n'y avait pas penalty, mais Edgardo Codesal [l'arbitre mexicain de la finale] soutient toujours le contraire. Ça ne sert à rien de poursuivre la polémique. On m'a proposé d'en débattre avec lui à la radio. Mais j'ai refusé car, à partir du moment où chacun a son point de vue et s'y tient, ça n'a aucun sens. La meilleure chose à faire est de dédramatiser et de passer à autre chose.
En 1994, aux Etats-Unis, l'Argentine a pratiqué un football champagne... jusqu'à la suspension de Maradona. Pourquoi l'équipe a-t-elle été incapable de surmonter la perte de son numéro 10?
Je vais vous dire. Quand Diego a été suspendu, c'est comme si on nous avait éteint la lumière. Plus encore que son génie balle au pied, Diego tirait tous ses coéquipiers vers le haut. Sans Diego, l'équipe adverse jouait son jeu. Avec lui, c'était une autre histoire. Quand il n'était pas là, nous jouions avec un frein, pour ainsi dire. Nous avons été éliminés par la Roumanie parce que nous avons raté un nombre incalculable d'occasions. Pour beaucoup, ce match fut le plus beau aux Etats-Unis 1994.
Et France 1998?
Là encore, nous avons perdu un match d'un niveau exceptionnel et là encore, nous avons laissé passer notre chance. Ensuite, les Pays-Bas nous battent sur un but inscrit en fin de match.
Vos 16 années passées là-bas vous permettront peut-être de répondre à la prochaine question: pourquoi est-ce l'Italie qui a remporté la Coupe du Monde de la FIFA 2006 et pas l'Argentine?
(Il réfléchit). Les Argentins ont tendance à penser qu'ils sont toujours les meilleurs. C'est bien de le penser, mais après il faut le démontrer. En Italie, en revanche, c'est l'attitude inverse qui règne. Les Italiens ont tendance à sous-estimer leur potentiel. D'autant plus qu'en 2006, le Calcio traversait une nouvelle crise. On pensait qu'ils n'allaient pas passer le premier tour. Au final, à force de concentration et de détermination, ils ont remporté l'épreuve et prouvé une nouvelle fois qu'on peut être champion du monde sans pratiquer le meilleur football du monde.
Comment voyez-vous les choses pour Afrique du Sud 2010?
On retrouvera en sélection un mélange des joueurs qui ont gagné la médaille d'or à Pékin et de ceux qui viennent de jouer contre la Biélorussie. On s'attend toujours à ce que l'Argentine participe au Mondial et arrive ensuite dans le dernier carré. Mais les choses changent. Les équipes n'arrêtent pas de progresser. Il faudra donc y aller pas à pas.
Roberto Sensini, à propos de la comparaison entre Messi et Maradona, Messi sera-t-il chargé de montrer le chemin à suivre, comme Maradona en 1986?
On ne peut pas demander à Messi d'être Maradona, parce qu'il n'y aura jamais qu'un seul Maradona. Messi est bien parti pour aller très loin, mais je ne crois pas qu'il puisse atteindre le niveau de Maradona. De toutes façons, il serait bon de mettre fin au débat car cela lui met la pression, ce qui est contre-productif. Et puis à Pékin, Messi n'a pas été le seul à briller. Il y a eu aussi Riquelme, Mascherano, Gago, Agüero, et que dire de Di María...Je le répète, l'important est d'avancer lentement, mais sûrement.
Vous plairait-il d'entraîner un jour l'équipe d'Argentine?
Ah... (Il sourit) Quand vous êtes joueur, vous voulez d'abord faire vos preuves dans une bonne équipe. Vous ne pensez pas à devenir une star. Ensuite, le travail bien fait ne vous suffit plus: vous voulez jouer dans un club plus important, afin de gagner des titres. Puis vous commencez à penser à la sélection. Si tout se passe bien, la prochaine étape est d'aller en Europe. C'est exactement pareil pour les entraîneurs. Nous avons aussi nos ambitions.
Justement, quel est votre rêve en tant qu'entraîneur?
De continuer de progresser. Tout le monde peut faire des erreurs mais en fin de compte, j'aimerais être reconnu pour mon style.


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