Cet hommage, même modeste, était nécessaire pour témoigner de son talent et de sa générosité. Jeudi soir, dans les jardins du Centre culturel français, ils étaient nombreux à faire le déplacement pour rendre un ultime hommage à notre semeur de joie, une autre figure du music-hall mais judéo-chaâbie. Non pas donc, Charles Trénet, mais le grand Lili Boniche. Avec Salah Gaoua au chant, Varoujan Fau au luth et à la guitare électrique, Caroline Cuzin-Rambaud au violon et au piano, Zami Mohammed au luth et guimbri et enfin Bazou au mandole, guitare, la fiesta était au rendez-vous. Un florilège d'instruments avec autant de morceaux enchanteurs commémorant la disparition de cette star des années 30 et 40, disparue dans la discrétion en mars dernier. Ont assisté à cette kermesse non seulement le public composé de grands, petits et jeunes mais aussi les gens accoudés aux balcons alentours qui se sont fait une joie d'écouter jouer ce groupe qui interpréta tout à tour Alger Alger, El Manfi, Chiret laâyani, Ayli Hbibi Dyali fin houa, Dour biha entre autres et finir en apothéose avec On m'appelle l'Oriental. Un morceau du célèbre Blond Blond que reprenait allégrement Lili Boniche. Blond Blond pour son côté albinos. Ce natif d'Oran reste l'un des rares artistes judéo-maghrébins à chanter pour la fête de l'Indépendance algérienne en 1962 à Asnières en France et à fouler les planches de son sol natal, celles du Koutoubia d'Alger entre 1970 et 1974. Lui aussi incarnait la joie de vivre à l'image de ses morceaux Au soleil d'Algérie, El Djazaïr les Nuits du Liban, Le Nomade ou encore Wahrane El bahia ou Club Med (vient à Juan-les-Pins) vocalisé en francarabe. Sa musique, comme celle de Lili Boniche, se caractérisait par une liberté de ton et d'improvisation. Lili Boniche était un des derniers survivants de la culture judéo-arabe d'Algérie. Et pourtant, il contestait, d'ailleurs, cette appellation judéo-arabe: «Est-ce qu'on dit d'un musulman qu'il joue de la musique islamo-arabe? Je joue de la musique arabe, un point c'est tout», disait-il. Redécouvert dans les années 90, il a créé un style où se mêlent les sonorités typiques de la musique populaire algéroise: flamenco, arabo-andalou, paso-doble, mambo et tradition juive...Ses chansons en francarabe ont fait danser plusieurs générations de toutes confessions. Et c'est avec une immense joie que le public est venu fredonner ses chansons et danser sur les airs de fête que jouait ce groupe de jeunes musiciens qui, pourtant, ne sont pas de la même génération. «Le plus sûr moyen de tuer une culture, c'est de la confiner.» C'est ce que proclament haut et fort les chansons de Lili Boniche. Un credo que partage Salah Gaoua, «World rocker» nomade entre colline croix-roussienne à Lyon et monts de Kabylie, musique traditionnelle, classique, jazz, flamenco et chanson française. En résidence à Alger pendant quatre jours, il était ainsi entouré de sept musiciens d'horizons géographiques et musicaux divers. De cette rencontre est née ce concert inédit en hommage au crooner de la Casbah. De la nostalgie peut-être. Mais beaucoup étaient là pour s'amuser, se rappeler des souvenirs et se payer un bon moment de divertissement en compagnie d'un répertoire riche et coloré. Celui qui ne reviendra plus. Pourtant indémodable, cette musique revient, en effet, petit à petit au-devant de la scène comme l'illustre le groupe féminin «Les Orientales» qui fait toujours salle comble. Né en 1921 à Alger, Lili Boniche avait des parents originaires d'Akbou en Kabylie. Son père, mélomane et musicien convaincu, a encouragé les dispositions musicales de son fils en l'envoyant comme élève dès son plus jeune âge chez le maître Saoud l'Oranais, maître de la musique classique arabo-andalouse. Il fréquente ensuite des écoles de musique réputées comme Moutribia et al-Moussilia. À 15 ans, le directeur de Radio-Alger, lui confie l'animation d'une émission consacrée au répertoire hawzi. Lili Boniche est un innovateur dans le sens où il modernise radicalement son style pour satisfaire un public en quête de modernité. Il se produit dans une multitude de cabarets orientaux où le style oriental se mêle allègrement aux rythmes occidentaux, au jazz et aux musiques afro-latines en vogue. Une chanson de Lili Boniche fut utilisée pendant près de huit ans pour le générique de l'émission culturelle de France 2, Des mots de minuit. Il décède le 6 mars 2008 à Paris. Cet hommage, même modeste, était nécessaire pour témoigner du talent de ce musicien et se souvenir de sa générosité d'homme. D'artiste qu'il était.