En gros plan d'ouverture, Yamina Bachir annonce la couleur: «Mon film est féminin !». Une première oeuvre algérienne qui aborde de manière frontale une des pages les plus sanglantes de l'Algérie indépendante, on est naturellement preneur. Mais la cinéaste ne se contente pas de ces sémaphores pour asseoir son propos de femme. Elle opte dès le départ pour une esthétique de la transfiguration pleine de ces paradoxes épistémologiques qui confèrent à un film une originalité plus grande et une force de conviction des plus fortes. L'Algérie de «Rachida», vit, pleure et meurt, mais reste belle. La lumière parvient à rendre diaphane le voile de la terreur. Aucun plan de ce film n'est sombre. Il peut-être noir certes, mais jamais désespérant. Désespéré sûrement. Mais comment peut-on éviter cela, quand on a été comme Rachida, l'enseignante, touchée à bout portant d'une balle de pistolet tiré par son ancien élève éjecté par le système scolaire et recyclé dans le terrorisme? Dans ce film Rachida dit non à la bombe qu'on l'a sommée de déposer dans son école. Elle a dit non au carnage programmé d'écoliers et d'écolières. Elle se retrouve sur le billard, puis enfin «exilée» dans son propre pays. Dans un village de l'intérieur, que l'on rejoint en empruntant ces chemins qui montent. Une montée vers le Golgotha, comme on le verra un peu plus loin. Dans sa traversée du désert, Rachida (étonnante Ibtissem Djouadi) sera accompagnée par sa mère (une Bahia Rachedi en juste apesanteur). Yamina Bachir, surligne son propos, cette tragédie algérienne est aussi une histoire de femmes... Et quelles femmes! Celles qui s'épanouissent encore plus dans l'adversité, rendant encore plus ardue la tâche des hommes à vouloir se hisser, se remettre à niveau. Eux qui ont légiféré, selon leur conscience de mâle et dont le handicap cardinal a été et sera encore l'absence de doute quant à leur infaillibilité! Rachida rend le hors champ perceptible, même pour celui qui a été nourri à ce questionnement existentiel sur la nature du fléau qui a endeuillé des millions de familles algériennes. Elle le dit avec beaucoup de violence dans le propos mais aussi avec la pondération qui sied à ceux qui estiment qu'il est plus judicieux de montrer que de démontrer. Le parti-pris cinématographique de la réalisatrice algérienne est celui de la vie, contre celui du nihilisme jusqu'à sa forme la plus absolue, la négation totale de soi. Les terroristes ressemblent étrangement à n'importe qui. Ils diffèrent bien sûr du tout au tout lors du passage à l'acte (barbare). Et c'est là aussi que réside la force et l'intelligence de Yamina Bachir, dans ce souci constant de réussir un mariage heureux et donc fécond entre l'art et l'Histoire. Malgré quelques passages (pas forcément obligatoires) par le cahier des charges et qui fait s'enfiler quelque fois les événements comme une succession de perles ensanglantées et qui montre surtout la préoccupation d'une cinéaste algérienne à ne pas trahir une mémoire collective douloureusement éprouvée. Oublier un détail risquerait de s'apparenter à une trahison. Alors la réalisatrice n'oublie pas de dire que des corps féminins ont servi de butin de guerre, qu'ils ont été souillés jusqu'à la honte. Que des jeunes adolescents ont été privés de ce moment de leur vie où les sens s'aiguisent où les premiers émois annoncent leur éclosion. Mais la fluidité narrative supplée à cette soif inextinguible de dire et même si le propos tend vers «l'échantillonnage sociologique» qui est toutefois délesté de toute tentation manichéenne grâce à un parti pris filmique qui maintient la narration en flux tendu permanent. Rendant ainsi incontournable ce «turn point» de la troisième partie du film, l'incursion des terroristes dans le village de Rachida, transformant du coup, une veillée nuptiale en une nuit macabre. Une nuit des longs couteaux. Une nuit des barbares. Le jour se lèvera sur un paysage de désolation. L'horreur hypnotique. Paralysante. Sauf pour Rachida qui parvient, pour la première fois, à prendre le dessus sur la peur qui lui tenait jusque-là (mauvaise) compagnie. Elle (re)devient une héroïne sortie tout droit d'une oeuvre de Kateb Yacine. Elle marche droite, sur ce chemin de terre battue qui mène à l'école dans la proximité est annoncée par ces tables et chaises cassées semées çà et là. Et puis comme par enchantement, celui qui vous fait dresser les cheveux, des garçons et des filles haut comme trois pommes, sortent d'un peu partout dans un silence serein avancent vers ce qui reste de ce lieu du savoir. La vie continue, elle se poursuivra quoi qu'il arrive. Ils portent dans leur regard l'innocence de leur âge mais aussi la tristesse de leur vécu. Le regard de Rachida, comme plein de reconnaissance pour ces nouveaux résistants en herbe, se voile. Ses yeux sont embués. Les nôtres aussi.