«Irréversible», celui par qui le scandale allait arriver. La rumeur, qui frisait la manipulation orchestrée de manière grotesque, avait fait du dernier film de Gaspar Noë Irréversible celui par qui le scandale allait arriver. Le soufre était là il ne manquait plus que l'élément pour provoquer la fusion. Ce fut un pétard mouillé de très piteuse qualité même. Bien sûr on aurait jeté par-dessus l'épaule cette histoire si derrière tout cela il n'y avait une odeur entêtante de pourriture, que l'on suppose familière, des bas-fonds fascistes. Car si le propos n'est pas forcément d'une grande originalité, dans la fiction s'entend - le viol et le châtiment - il est en revanche traité avec une grande sublimation des plus barbares de la démarche punitive de cet acte qui demeure dans l'absolu criminel. Une scène de sodomie qui dure dix minutes précédée d'un massacre à l'extincteur de «Ténia», le violeur, une errance aux effets recherchés à l'écoeurement annonce la couleur d'un film qui commence avec le générique de fin et s'en va, dans un déroulé-enroulé, nous relater une histoire à l'argument aussi mince que n'est grosse l'intention (cachée) de l'auteur de magnifier par un habillage trash mais high tech quand même... A oublier dare-dare. Le pianiste de Roman Polanski qui célèbre le retour de l'auteur de Rosemary's baby dans sa Pologne natale s'étire en longueur presque éreintante pour raconter le calvaire des Juifs du ghetto de Varsovie durant la Seconde Guerre mondiale faisant un gros plan sur le destin incroyable d'un pianiste sauvé de la mort certaine, par un Allemand mélomane... L'adaptation du roman éponyme a apparemment joué des tours à la transposition à l'écran de cette oeuvre. Ecueil évité avec beaucoup de brio par, entre autres, deux Oranais de naissance, la cinéaste Nicole Garcia et le scénariste Jacques Fieschi épaulé par Frédéric Bélier-Garcia dans la mise en images du roman d'Emmanuel Carrère L'Adversaire où l'histoire d'un homme qui, un jour, en séchant un examen de médecine, allait s'enfoncer dans une spirale du mensonge qui en fera, tour à tour, un grand spécialiste international auprès de l'OMS, en Suisse, et un commis voyageur des grandes causes humanitaires. Destin tragique d'un homme qui n'a jamais travaillé de sa vie, mais que cela n'empêchera pas, pendant quinze ans, de se lever tôt, de quitter sa maison et sa femme et ses deux enfants pour patienter sur un parking enneigé. Au bout de sa logique infernale, harcelé de toutes parts, l'homme, voulant sans doute épargner une grande déception à ceux qu'il aime, retournera contre eux l'arme de la mort. C'est aussi inspiré d'une histoire vraie, celle de Romand, condamné depuis à perpétuité. Daniel Auteuil, pour ce film justement, a des chances de faire concurrence à Nicholson (About Schmidt) pour la course au Prix d'interprétation. Mais à propos du Palmarès, qui sera dévoilé ce soir, on parle avec beaucoup d'insistance de L'homme sans passé du Finlandais Aki Kaurismäki. Une belle histoire d'un homme laissé pour mort lors d'un passage à tabac et qui se reprend en main avec fermeté, mais avec beaucoup d'indulgence envers lui-même pour s'en sortir. Un univers plein d'humanité, malgré (ou grâce?) à la touche «beckettienne», celle de Oh, les beaux jour... Un film du Nord qui parle avec beaucoup de tendresse de ces gens «qui ont dans leurs yeux le bleu qui manque à leur décor», comme dirait un célébrissime Constantinois... En tout cas, la bande à David Lynch ne pourra pas faire l'impasse sur Kaurismäki, donc, mais aussi sur E.Souleïman, Kiarostami, Ariane Ascaride, Renato Berta et peut-être Olivier Assayas. Mais à Cannes la rumeur enfle de plus en plus autour de Yamina Bachir Chouikh qui pourrait bien décrocher la très convoitée «Caméra d'Or», récompensant une première oeuvre. Lors de sa projection officielle, on a bien vu des femmes membres du jury (présidé par Géraldine Chaplin) jeter discrètement des kleenex en lambeaux... Alors Incha Allah, plus que quelques heures...