«Une nouvelle aube du leadership américain est à portée de main», a dit Barack Obama lors de son discours, après l'annonce de sa victoire historique. Le monde entier est satisfait. Car le bilan des huit dernières années est catastrophique. Tout le monde espère une nouvelle ère de démocratie et de multipartisme. Le peuple américain vient de donner une leçon de démocratie fantastique à lui-même et au monde entier. Le monde souffre de faiblesse en matière de démocratie. L'Amérique profonde vient de prouver qu'elle n'est pas raciste et qu'elle croit au droit à l'égalité et à la liberté. Un beau et historique message. La première puissance mondiale va se hisser au rang de leadership mérité. C'est cela la nouveauté. Barack Obama, jeune, intellectuel et homme de couleur a réussi à rendre possible et réel le rêve américain, et surtout à le rendre universel. Il reste au monde entier à l'aider à réaliser un leadership raisonnable, juste et fondé sur la justice et le multilatéralisme. Cela sera difficile. Mais aujourd'hui, l'espoir est permis. Les questions que Barack Obama doit résoudre sont redoutables: crise économique profonde, désordre mondial, conflits du Moyen-Orient. Plus encore impasses du monde moderne. Ce qui pose problème, sur le fond, dans notre monde moderne, c'est le fait que le libéralisme sauvage, autant que certaines dérives des religions, se soit transformé en dogmatisme, en doctrine intolérante et contraignante, une sorte de nouvelle religion et idéologie, négatives, alors que celui-ci était censé libérer des fanatismes. «Athéisme» et «théisme» restent des termes équivoques. D'où que tout être sensé devrait préférer, non point l'un aux dépens de l'autre, mais l'ouvert au fermé, c'est-à-dire refuser toutes les formes de fermeture, qu'elles soient issues du libéralisme - athéisme ou du théisme. On doit travailler à former des citoyens ouverts et non fermés. A cette condition, la démocratie serait une chance. Pour les musulmans, comme pour nombre d'autres peuples, il s'agit de renvoyer dos à dos ces deux faces du même Janus de la société dite moderne: athéisme et libéralisme sauvage, ou dit autrement, athéisme et théisme fermés sans horizon. Ceci dit, ce que les musulmans d'aujourd'hui doivent comprendre a trait au fait que la force de la culture américaine, malgré ses limites et contradictions, sa modernité, malgré ses difficultés, se situe dans la démocratie et la fermeté avec lesquelles la raison se confronte à ses limites et transcende les préjugés et les clivages. L'être moderne accepte de s'exposer, de prendre le risque par l'exercice de la démocratie. Rien dans notre religion et culture ne l'interdit, au contraire. Ce que le moderne, de son côté, doit comprendre, réside dans le fait que le musulman a participé, et le peut encore, à la civilisation dans la Cité. Humaniser les rapports humains a été possible grâce au monothéisme notre source commune, qui a donné trois monothéismes. Les valeurs abrahamiques, contrairement aux préjugés, sont une des sources essentielles de la démocratie et de l'humanisme. Ce qui pose problème pour un croyant, notamment musulman c'est la représentation actuelle du monde qui suscite des formes de dépendance, de déshumanisation, de déséquilibres, par-delà des opportunités. C'est à la liberté que vous êtes appelés et non à l'idolâtrie et à l'oppression, est un mot d'ordre des monothéismes. C'est cela qui est une chance pour la société et que l'on doit retrouver. La victoire d'Obama est un retour à l'essentiel: la démocratie. Tout le monde sait que nous sommes dans une phase de l'histoire de l'Occident en train de se mondialiser, le fait positif c'est la démocratie, le fait négatif réside dans le fait que la spiritualité ne structure plus la vie des sociétés, elle ne définit presque plus rien. La religion continue d'exister, mais elle est inopérante. Les musulmans tentent de résister à cette dilution, mais ils apparaissent comme réactionnaires, faute de démocratie. Nous constatons que malgré une émancipation vis-à-vis de l'autorité religieuse et une séparation logique de l'autorité de l'Eglise et de l'Etat, et de la sphère du public et du privé, cela a abouti à la marginalisation des principes abrahamiques, voire à une forme de déshumanisation et à un effondrement de l'horizon de l'espérance. Le nihilisme et l'absence de relations humaines marquent de plus en plus les sociétés modernes, même si les technosciences et des pratiques de tolérance et de civisme sont perceptibles. Ce qui se joue n'est pas simplement le niveau de la séparation des pouvoirs et une saine sécularisation, c'est aussi le destin de la nature humaine et son devenir. Les questions de la «transcendance», de la «communauté» et du «sens» restent ouvertes, même si elles sont refoulées ou reversées sous des formes intégristes. «Il faut renoncer à l'abandon même» tel est le message d'espérance d'un musulman aujourd'hui. Mais sans démocratie, on ne pourra pas avancer et réaliser l'équilibre. Pratiquer l'autocritique au sujet de sa propre tradition et la critique des dérives de la modernité est un devoir. Reste à discerner, à ne pas faire endosser, pour les uns, à la religion, à l'Islam, ce qui relève des incohérences de la politique, et pour les autres à la démocratie, sous prétexte des risques qu'elle fait encourir. Déspiritualisation, dépolitisation, déraison, trois figures du non-monde qui se profile. Il est urgent de rappeler ces défis auquel la foi doit répondre pour redevenir une chance. Sur le plan politique, le problème libéral réside donc dans le fait que la société est perçue comme un corps productif, soumis aux intérêts des détenteurs de capitaux. La dépolitisation de la vie est sans précédent. Elle remet en cause la possibilité d'être un peuple responsable, capable de décider, de résister, au nom de la liberté, d'avoir ses raisons et d'avoir raison, de donner force et réalité à un projet de société choisi après débat. En dépit de la légitimité des institutions, de la prédominance des droits de l'homme, de la libre entreprise, de la prolifération des normes juridiques, y compris au niveau supra-étatique, comme le principe de subsidiarité, la possibilité d'exister en tant que citoyens participant à la recherche collective et publique du juste, du beau et du vrai, est hypothéquée. L'avenir dépend de moins en moins de la décision de chaque citoyen et toujours davantage des systèmes. La victoire d'Obama montre que l'on peut renverser la tendance et redonner la parole au peuple. Même si on sait que les appareils et l'argent ont joué un rôle décisif, ce sont les citoyens américains qui ont fait l'essentiel: exprimer leur aspiration vitale au changement. Tenter de réactiver les capacités de l'être humain à assumer de manière responsable, l'épreuve de l'existence et décider de l'avenir est la plus belle des actions. Que cela serve de leçon à tous dans le monde: l'avenir de la démocratie dépend de chacun de nous.