La carte blanche à l'association Aflam, de Marseille à Alger, s'est achevée à la salle ABC, vendredi, par la projection de deux documentaires des plus émouvants. Le premier est Une enfance heureuse de Messaoud Laïb 2003, 52'. Ce film qui privilégie plus le silence et le regard expressif à la parole, suit le parcours d'un Algérien né en France, qui retourne sur les pas de son enfance, à Lyon, 48 ans après. Le documentaire nous emmène sur les lieux qui ont marqué sa petite vie de gamin, son ancienne maison détruite, ses voisins, aujourd'hui, dont un qui avait hébergé son père, alors recherché par la police française, ses anciens camarades de classe.. et puis, l'hôpital où il est né. Ce personnage énigmatique est trop réservé, ce qui rend le tournage difficile. C'est quelqu'un qui n'étale pas ses sentiments comme ça. Mais cela ne constituera pas de frein pour autant. Puisque l'essentiel est dit. Ce film sans grande prétention historique, nous plonge dans l'intimité d'un individu qui cherche à se souvenir, à ne pas oublier, tout simplement d'où il vient, ses racines. Un peu perdu qu'il était dans les méandres de ce passé lointain, dont il ne lui reste que des bribes aujourd'hui et dont l'envie de reconstruire le taraudait. Le second film est un vieux long métrage sauvé in extremis, car à deux doigts d'être jeté à la poubelle par son auteur. A l'époque, personne n'en voulait! Lettre à la prison a été réalisé en 1969, entre Tunis et Marseille. Le célèbre Chris Marker prête au réalisateur une caméra. Plus tard, il lui avouera ne pas aimer ce film, «car il n'est pas militant, plutôt du bourgeois nombriliste», avait-il estimé, note le réalisateur lors du débat qui a suivi la projection. Le réalisateur franco-tunisien a dû s´arrêter avant le tirage d´une copie. Le film était resté inachevé. Retrouvé par la fille du réalisateur, il y a deux ans, il fut restauré par la cinémathèque de Bologne, en collaboration avec l'association «Film-flamme» de Marseille. En 1970, un jeune Tunisien débarque pour la première fois de sa vie en France, où il est chargé par sa famille de porter secours à son frère aîné, accusé d'un meurtre et emprisonné à Paris. Il fait d'abord halte à Marseille. Là, il rencontre des Tunisiens étrangement différents de ceux qu'il croisait en Tunisie, ainsi que des Français qui lui paraissent énigmatiques. Dans cette ambiance générale plutôt inquiétante, il en arrive à douter, peu à peu, de ce dont il était sûr, c'est-à-dire de l'innocence de son frère, et aussi de sa propre innocence, et de son intégrité mentale. La bande - son a été faite un an après le tournage, dans une chambre pas éclairée, d'où les décalages, «ce qui peut-être fait original», dira encore une fois le réalisateur avec dérision. Une partie des bruitages a été récupérée des bacs et une autre d'un film tourné en Tunisie dont aujourd'hui la copie est détruite. Un défaut, le Tunisien parle plutôt l'arabe algérien. Images obsolètes, tournées en noir et blanc avec juste un fragment en couleur pour sous-entendre ce bonheur éphémère entre un garçon et une fille: ce film puissant du point de vue de l'imaginaire est une belle peinture psychologique qui renvoie à un descriptif mental surréaliste de l'être humain. La violence obsessionnelle en est imprégnée dans ses mouvements et cette dynamique de l'image est bien rendue par ce jeu de clair-obscur même suranné du noir et blanc. L'univers onirique n'en est pas moins accentué, ce qui donne un plus à ce film. Comme un bon vin bonifié par le temps. Coup de coeur de ces journées cinématographiques, organisées par l'association algérienne, Chrysalide, le court métrage O.S de Marie Vanaret, 2007 a été de nouveau projeté à la demande du public. Projeté en avant-première, ce film musical et chorégraphique brosse le portrait de l'ouvrier spécialisé, embauché dans les années 1950 pour faire le sale boulot, à savoir celui en usine. A cette époque, le Nord-Africain était tout indiqué. Emouvant et sensationnel, ce film illustre, en mouvements, ces gestes du quotidien de ces gens.Magnifique et tendre regard que porte la réalisatrice sur le cinéma. Un art qui, pour elle, se veut l'expression du corps pour raconter des choses qui nous ressemblent, nous concernent et nous rassemblent. Bravo donc!