Un baril à 50 dollars représenterait un réel danger pour l'économie nationale, avait estimé, il y a près de trois mois, le Premier ministre. Cette fois-ci, nous y sommes. Les prix du pétrole, qui ont entamé leur chute vertigineuse après avoir établi le record historique de 147 dollars le 11 juillet 2008, poursuivent leur descente aux enfers. Ils ont brisé le seuil symbolique des 50 dollars. Une ligne rouge qui avait été tracée par le chef de l'Exécutif. L'Algérie fonctionne à un baril de 67 dollars. A 70 dollars nous serions donc en danger, à 60 dollars ça irait mal, à 50 ça irait très mal, avait souligné Ahmed Ouyahia au mois de septembre. Hier, le baril est tombé en milieu d'échange européen à 44,87 dollars. A New York, il a touché 46,42 dollars, un plus bas niveau depuis le mois de mai 2005. La sonnette d'alarme est tirée. Le constat ainsi fait nous permet de dire qu'il y a désormais danger sur l'économie algérienne. La démonstration est simple à faire. L'embellie financière dont a bénéficiée l'Algérie est du seul ressort de ses exportations en hydrocarbures portées par une envolée historique des cours de l'or noir. Le matelas de devises a atteint la rondelette somme de 139 milliards de dollars. L'année 2008 aura elle aussi été sanctionnée par une belle moisson malgré des prix du pétrole en berne depuis maintenant plus de quatre mois. 77 milliards de dollars au lieu des 80 annoncés en grande pompe par le ministre de l'Energie et des Mines. La crise financière internationale vint interrompre la belle aventure. Elle ébranla les principales places boursières de la planète, entraînant dans son sillage les cours de l'or noir. Le débat s'est installé en Algérie concernant les conséquences qu'elle aurait sur l'économie nationale. Karim Djoudi, le ministre des Finances, ainsi que Mohamed Laksaci ont, dans un premier temps, écarté d'un revers de la main tout danger. Ahmed Ouyahia les avait ardemment soutenus à l'époque. Il avait estimé au même titre d'ailleurs que Chakib Khelil, ministre de l'Energie et des Mines, que le système bancaire national «du fait de son retard» était relativement épargné. Aujourd'hui, la réalité est tout autre. Le baril de pétrole a perdu quelque 70% de sa valeur. Le manque à gagner est énorme. La baisse de la production de pétrole de 71 000 barils par jour, décidée dans le cadre de la réduction de la production de l'Opep et prise le 24 octobre à Vienne, coûtera 2 milliards de dollars à l'Algérie. Et comme nous l'avions signalé dans une de nos précédentes éditions, cela équivaut à deux années d'ex-portations hors hydrocarbures. Il faut le reconnaître, l'économie algérienne est loin d'avoir les reins solides. Elle paraît même trop frêle, trop fragile, pour une crise mondiale dont la férocité s'apparente à celle de 1929. Tous les indicateurs tendent vers un désastre. Les Etats-Unis, locomotive de l'économie mondiale, sont entrés dans une récession sévère. La crise financière a emporté et balayé la quatrième banque américaine Leihman Brothers. Les 700 milliards de dollars du Plan Paulson ne semblent être d'aucun secours. Le secteur de l'automobile réclame des aides publiques pour éviter aux entreprises de mettre la clé sous le paillasson. Les Français, les Allemands ne sont guère épargnés. Les groupes français Renault et japonais Nissan sont sur le point d'annoncer des licenciements massifs. Le géant de l'acier Arcelor Mittal annonce quelque 9000 suppressions d'emploi. Qu'en sera-t-il du complexe sidérurgique d'El Hadjar à Annaba? Il faut reconnaître que le rappel de Ahmed Ouyahia ne s'est pas fait dans des conditions très favorables même s'il dispose d'une confortable situation financière et de l'assainissement d'une dette que l'économie nationale traînait comme un boulet. L'actuel Premier ministre bénéficie tout de même d'un préjugé favorable non négligeable de la part des chefs d'entreprise. «Nous avons retenu lors du premier entretien avec M.Ouyahia sa volonté ferme de maintenir le cap et de poursuivre les réformes économiques et de ne pas revenir vers les expériences socialistes des années 70», a déclaré dans un entretien à l'hebdomadaire Jeune Afrique, le président du FCE, M.Réda Hamiani. «Il n'y a pas de changement de cap. Il y a affinement de la méthode», avait déclaré Ahmed Ouyahia lors du conseil national du RND qui s'est tenu en juin dernier. Le Premier ministre qui a, entre autres, à mener à terme les différents chantiers dans le cadre du développement économique initié par le président de la République, risque fort d'être contrarié par la sévère dégringolade des prix du pétrole. Surtout que certains projets ont dû être renforcés par des enveloppes budgétaires supplémentaires plus que conséquentes. L'argent ne peut désormais connaître d'autre destination que celle qui lui a été assignée. «J'insiste auprès du gouvernement pour la rationalisation de la dépense publique et la lutte contre le gaspillage des deniers de l'Etat», avait averti Abdelaziz Bouteflika. En ce sens, le chef de l'Etat a choisi celui qui est sans doute le plus désigné pour mener à terme son programme. Ahmed Ouyahia aura comme redoutable adversaire la crise financière internationale et ses douloureuses conséquences sur le prix du baril de pétrole, mais le Premier ministre a cette solide réputation de ne reculer devant aucun obstacle.