Il demeurera longtemps un être dont le destin n'a jamais pu être décrypté par les observateurs. Le président du Conseilde la nation (Sénat), M.Mohamed Cherif Messaâdia, est décédé hier à l'aube près de Paris, à l'âge de 78 ans, à la suite d'une longue maladie. Pour le FLN, dont il a connu et pratiqué les rouages comme personne, c'est, à n'en pas douter, une grande perte. Pour un grand nombre de personnes, sa mort ne saurait ne pas être ressentie comme la disparition d'un être cher, d'un ami, voire d'un frère notamment pour ceux qui l'ont côtoyé de près comme Abdelaziz Bouteflika, qui l'a connu au Mali pendant les dernières années de la lutte pour l'Indépendance. Mais qui était-il au juste? Protégé par une barbe qui l'a suivi partout où la politique lui a dicté de se rendre, Mohamed Cherif Messaâdia demeurera longtemps un être dont le destin n'a jamais pu être décrypté par les observateurs. Une chose est sûre, il n'aimait pas parler de soi. D'où la colère, parfois, des journalistes qui, dans leur majorité, n'ont jamais pu avoir prise sur lui. L'homme riait peu. Est-ce par nature ou parce qu'il campait le rôle du pôle d'attraction vers lequel toutes les récriminations étaient focalisées, qu'il inspirait le respect? C'était en tout cas un homme pas comme les autres. Compagnon de marche des jeunes et des moins jeunes depuis 40 ans, le voilà quittant définitivement la scène politique et la vie tout court dans des circonstances peu communes. Une chose est sûre, il ne s'est jamais senti battu même au plus fort des émeutes de 1988, malgré les tonnes de récriminations que des réseaux occultes avaient pris soin d'orienter vers le FLN «pour le rendre responsable du marasme qui venait de s'abattre sur l'Algérie». Coriace, il n'a jamais accepté de camper le rôle de bouc émissaire. Avant de quitter le FLN, alors que s'achevaient de s'éteindre les fumerolles causées par les déprédations commises au nom du 5 Octobre 1988, Messaâdia diffusa un communiqué dans lequel il déclarait qu'il se mettait à la disposition du pouvoir. Depuis, son éclipse de la scène politique ira crescendo, mais, pour autant, il ne perdra pas espoir. Le vieux «dur à cuire» reviendra sur le devant de la scène malgré les relents d'hostilité que n'a cessé de lui vouer une certaine presse. Messaâdia était un homme pour qui la politique était consubstantielle à son être. Baignant dans ses rouages depuis 1942, date à laquelle il s'était engagé dans le mouvement national, il ne l'abandonnera que pour rejoindre le repos éternel, à la suite d'une maladie qui ne lui a laissé aucune énergie pour se défendre. Il est mort le lendemain à l'aube d'un retour en force du parti, le FLN, pour lequel il s'est sacrifié sans compter. Cela étant dit, l'ancien chef de parti et le ministre qu'il fut, sans sombrer dans l'angélisme avec lequel la sévérité de son visage de prélat ne pouvait cohabiter en apparence, Mohamed Cherif Messaâdia a été un humaniste à l'actif duquel nombreux sont les actes de mansuétude qu'il a rendus à ses compatriotes. Mais il n'était pas pour autant suiviste. A la frontière algéro-tunisienne où il veillait à la formation des jeunes Algériens avant de les mener au combat, il n'a pas hésité à s'opposer à sa hiérarchie pour défendre ce qui lui paraissait alors d'une justesse inaltérable. Accusé dans l'affaire Lamouri d'avoir voulu renverser le GPRA, il est arrêté en 1958 et mis sous les verrous jusqu'en 1960. Sa peine réglée rubis sur l'ongle, il est libéré et muté à la frontière algéro-malienne où il retrouvera Abdelaziz Bouteflika, luttant pour mettre en place des réseaux efficaces de transport d'armes à destination du nord de l'Algérie où les combats avaient redoublé de férocité, à la suite des ordres données par le général de Gaulle pour renforcer la guerre de reconquête à outrance. Messaâdia est mort pour une idée, celle sans doute de voir un jour l'Algérie reprendre sa place dignement dans le concert des nations. A sa manière, tout porte à croire qu'il a réussi.