Un remake? Non, une simple séquence de femmes au bord de la crise de nerfs. La rue Didouche a vécu il y a quelques jours, une atmosphère de star, digne du festival de Cannes. Tapis rouge, défilé, bousculade de photographes, et de cameramen, artistes en tenue de soirée et officiels avec bodyguard. Tout le gratin de la politique et de la culture d'Alger s'est donné rendez-vous à la salle Algéria, lieu mythique de la «high society» des années 60, délabrée par la gestion d'un commerçant véreux, rénovée et restaurée pour redonner vie et lumière à la tradition des salles obscures. Pour célébrer, donc, la réouverture de cette salle symbole pour la culture et le cinéma, l'APC d'Alger-Centre a choisi de projeter le dernier film de Ghaouti Bendedouche, La voisine. Prévu pour l'Année de l'Algérie en France, ce film est le premier d'une série de huit films à être programmé pour 2003, dans les différents festivals de l'Hexagone. Bénéficiant, dans un premier temps d'un budget du Fdatic de plusieurs milliards de centimes, puis pris en charge par le gouvernorat d'Alger en 1998, avec une dotation d'un milliard de centimes et de 700 millions en pellicules. C'est d'ailleurs avec cette pellicule Fuji, offerte par Cherif Rahmani, que le réalisateur a tourné son film et on se demande, aujourd'hui, à quoi aura servi le budget alloué du commissariat de l'Année de l'Algérie, il y a seulement quelques jours. Le producteur exécutif Youcef Bouchouchi, qui est sous tension durant toutes ces années de projet, a été physiquement affaibli par cette entreprise périlleuse et a fini par avoir un malaise cardiaque, la veille de la projection, en avant-première de son premier long métrage en tant que producteur. Assistant-réalisateur de Pontecorvo dans La bataille d'Alger, Bouchouchi a été le premier à réaliser une émission de cinéma sur la télévision dans les années 70, c'était le défunt «Ciné-club» avec Ahmed Bejaoui. Après quelques années d'arrêt, Youcef Bouchouchi s'est spécialisé dans les spots et les documentaires avec sa boîte 3 AV. L'édition d'une cassette «El Assima» d'Abdelmadjid Meskoud le relance sur la scène artistique, et commence alors pour lui la conquête de l'écran après l'ouverture du champ audiovisuel aux boîtes privées. Décrochant une émission hebdomadaire, il avait, à l'époque, exploité la fibre sensible de quelques artistes anonymes pour meubler une émission sans état d'âme. La voisine, qui sera donc présente dans la foulée des projets culturels de la manifestation de l'Année de l'Algérie en France de 2003, devait impérativement donner une image colorée du pays. Et c'est dans l'univers social et culturel de la Casbah que le réalisateur a puisé cette oeuvre onirique. La voisine, c'est l'histoire d'une nouvelle voisine jeune et jolie qui vient habiter dans la grande maison «Dar El Kbira», bouleversant les habitudes des locataires et provocant les jalousies des femmes et des coups de foudre chez les hommes. Cette nouvelle venue, perçue comme une intruse, bute surtout sur les assauts répétés des femmes de la «skifa» qui n'admettent pas les transgressions aux règles de la Grande maison et qui ne comprennent pas l'attitude désinvolte de cette nouvelle voisine. Ainsi la «Dala» (charge effectuée à tour de rôle par chaque locataire), la pause café Wast Eddar» (cour supérieure) la lessive, l'étendage de linge sur la terrasse, la corvée d'eau sont autant de repères dans la vie de ces femmes qui vivent dans l'univers clos de la Casbah. Le réalisateur, qui n'a pas fait d'efforts pour innover dans le style et dans l'histoire de la Grande maison, a repris les mêmes actrices - avec quelques rides en plus - que celles qui avaient fait, dans les années 70, le succès du feuilleton de Mustapha Badie «Dar Essbitar». En effet, le réalisateur, en panne de visages algérois a fait appel à Beyouna, Guechoud Aïda. Deux actrices qui avait à l'époque à peine 15 ans et qui avaient été recrutées par Badie pour la circonstance. Si c'était Badie qui avait réalisé le film, on aurait pensé aussitôt à une suite. Mais, le cinéaste décédé il y a quelques mois, n'avait ni le temps ni la force de donner une portée supplémentaire à son oeuvre. Et on regrette presque que Bendedouche n'ait pas pensé à rendre hommage dans le générique de son film à ce réalisateur mort dans la solitude. Bendedouche, très ému lors de l'avant-première allait rendre hommage à tous les cinéastes disparus, mais il en a été empêché par les organisateurs. Le film, loin d'être une oeuvre majeure, traverse le monde fermé et béant de la Casbah, avec son lot de querelles et de disputes, sa part d'émotion et de pleurs, sa portion de joie et de bonheur. Réalisé en l'espace de huit mois ce film a connu plusieurs étapes pour sa mise en chantier. Ce qui démontre le bâclage du montage, fait pourtant par un des meilleurs du pays, Rachid Benallel. Un montage très «cut» qui enlève le charme des raccords entre les scènes. Le réalisateur s'est borné à tourner des intérieurs, et quelques vues extérieures de la baie d'Alger, sans se soucier de la beauté plastique de la Casbah et de la ville blanche. Bendedouche s'est contenté de filmer des femmes au bord de la crise de nerfs et qui parfois n'allaient pas jusqu'au bout de leurs convictions. D'ailleurs le film aurait pu être plus catastrophique sans la présence de Beyouna, toujours fidèle à son image de femme en ébullition chargée d'humour et d'émotion. On retiendra enfin une légère satisfaction, la prestation de Lynda Yasmine qui démontre film après film ses compétences d'actrice et se démarque du statut de potiche qu'on a bien voulu lui coller. Le réalisateur a été lamentable et avec tout l'argent qu'il a pu récolter pour faire ce film, on ne lui pardonne pas ses flous répétés dignes d'un cinéaste amateur ou encore ses décalages sonores de voix qui conviennent à des films égyptiens. A côté de ce ratage technique s'ajoute un ratage musical qui n'a pas été à la hauteur de la partition musicale d'Ahmed Malek de «Dar Sbitar». Le réalisateur, sur les conseils de son producteur, se contenta de la composition presque insignifiante du mari d'Aïda, Mohamed Guechoud. Bref, La voisine, plus qu'un film, est une «oisive» totale du cinéma algérien et à côté de son marasme et de sa solitude, il y a la détresse de ses réalisateurs.