Une coexistence pacifique est-elle possible entre musulmans et chrétiens en Algérie? La question dérange. «Il se peut que les ghettos sécurisent, mais qu'ils stérilisent, c'est sûr». En cette fête de Noël, les cloches ont tinté à Alger. A Notre-Dame d'Afrique, elles ont chanté la citation du cardinal Lavigerie qui s'adressait aux Algériens, en leur disant: «Vous, anciens habitants de l'Algérie. Je vous bénis. Je vous demande un privilège, celui de vous aimer comme mes fils, alors que vous ne me reconnaîtrez pas pour père». L'église est située sur une colline surplombant la baie d'Alger. Autour de la chapelle, le silence est entrecoupé de bruits des travaux en cours. L'édifice est en restauration. Cependant, mercredi 24 décembre, la veillée a commencé à 20h30. Une messe à eu lieu une demi-heure plus tard. Le lendemain, nous nous sommes rendus à la cathédrale du Sacré-Coeur. La messe solennelle y est prévue à 10h30. A l'entrée, nous avons été reçus par M.Julien Imejqan, l'archiprêtre. Il nous montre l'intérieur de la cathédrale. Son aspect architectural est atypique. M.Julien Imejqan explique que «l'idée exprimée par les architectes est celle d'une tente». Une coupole est soutenue par huit piliers assis sur d'énormes champignons. La rosace de la tour s'élève à 35m du sol. L'édifice est divisé en deux par le vitrail qui émet un jeu de couleurs et de lumières. Notre guide nous mène au fond de la cathédrale où se trouvent les orgues. En face se dresse une mosaïque. M.Imerqan nous apprend que «c'est la plus ancienne manifestation chrétienne, sous forme de labyrinthe. Elle a été réalisée en l'an 312». Juste devant, un autel attire notre attention. C'est celui des moines de Tibhirine. Ils l'avaient rendu à la cathédrale, un mois avant leur assassinat. Ensuite, notre interlocuteur nous montre la crèche tyrolienne qui, selon lui, «est à Alger depuis 1838». Les travaux de réalisation de la cathédrale du Sacré-Coeur avaient été lancés le 5 avril 1958, alors que la guerre de Libération nationale entamait sa dernière ligne droite vers l'indépendance de l'Algérie. Ce jour-là, le pape Jean XXIII y voyait «un signe de paix sur la terre algérienne». De son côté, le cardinal Mgr Duval y percevait «le symbole de tous ceux qui ont dit non à la haine, à la vengeance, qui poussent le pardon des injustices jusqu'au plus pur héroïsme». Aux environs de 10h30, Mgr Ghaleb Bader, successeur de Mgr Henri Teissier à l'archevêché d'Alger, apparaît en compagnie de prêtres. A l'intérieur de la salle, se trouvent des membres de la communauté chrétienne vivant en Algérie composée essentiellement de personnes venues de représentations diplomatiques, des étudiants africains et de quelques communautés originaires de pays étrangers. La messe commence. Elle est ordinaire. Nous nous tenons à l'écart. Les prières dureront jusqu'à midi. Mgr Bader adresse «un message de paix aux hommes du monde». A la sortie de la cathédrale, M.Smaïl C, Syrien aux cheveux grisonnants, souhaite «que la paix règne en Algérie» ainsi que son épouse, N.C, qui ajoute, toute souriante: «Je vis en Algérie depuis tant d'années. Je dois avouer qu'à ce jour, je n'ai rencontré aucune contrainte pour vivre selon mes convictions». Un couple de jeunes mariés irakiens passe, il dira furtivement: «Heureuse année au peuple algérien et que les années prochaines soient porteuses de paix et de prospérité pour nos deux pays, l'Irak et l'Algérie». Mgr Bader arrive, il nous salue. Nous sollicitons une entrevue. Il accepte. Rendez-vous est pris à 16h30 à la maison du Diocèse, sise 22 rue d'Hydra à El Biar. Nous arrivons à l'heure convenue devant le portail de la maison. C'est une villa située dans un endroit discret. A l'intérieur, les signes de la fête de Noël sont peu visibles, seul dans le hall, se dresse un sapin. Mgr Bader, l'archevêque, vient à notre rencontre. Il nous reçoit dans l'une des salles de la maison. La discussion s'engage. L'échange est un clin d'oeil à l'esprit de tolérance qui animait l'Andalousie musulmane au sommet de sa civilisation. Cette terre prospère sur laquelle vivaient musulmans, chrétiens et juifs dans le respect mutuel. Des siècles ont passé. Aujourd'hui, le choc des médiocrités s'est substitué à l'harmonie des civilisations. A ce propos, méditons ensemble un passage du Pr Mohamed Arkoun, historien, ayant développé la discipline de l'islamologie appliquée. Dans la préface de son ouvrage Humanisme et Islam, ce professeur émérite a écrit: «Les stratégies géopolitiques d'un "Occident" volontariste et dominateur continuent à contribuer au durcissement de la polarisation idéologique.» Bonne lecture.