«Il faut faire de la résistance!» dira le réalisateur d'El Manara, Belkacem Hadjadj, quant à sa volonté de continuer de faire des films en Algérie. Des scènes aberrantes cocasses, absurdes, risibles...non ce n'est pas un film comique, mais bel et bien le making of du film El Manara que nous avons vu jeudi dernier, à la salle ex-ABC, dans le cadre du ciné-club de l'association «A nous les écrans». Projeté en présence de son auteur Mohamed Cherfi Béga, et du réalisateur du film, Belkacem Hadjadj, ce making of nous a permis de découvrir les conditions lamentables dans lesquelles a pu être tourné ce long métrage portant sur une décennie, la plus sanglante qu'à connue, le pays. Tourné en effet, en 2003, alors que le cinéma algérien est en pleine crise, ce making of vient appuyer ce paysage alarmant marqué par un manque de moyens effarant que ce soit sur le plan de la logistique, de la coordination que sur le plan du financement. Gravissime. Ce documentaire qui suit aussi les péripéties de cette équipe durant le tournage, nous révèle ses difficiles conditions de travail, nous fait partager ses moments de tension, de joie, de doute...confrontant aussi ces images avec celles des débats filmés durant la sortie d' El Manara en 2005. A juste titre, ce making of s'appelle Un film malgré tout. Il décrit l'état de la fabrication du film El Manara ayant porté à l'écran trois figures de cinéma, aujourd'hui assez connues pour certains car ils continuent, bon gré mal gré, à faire du cinéma. Il s'agit de Khaled Benaïssa, Samia Meziane et Tarek Hadj Abdelhafidh. Au tournant de l'ouverture démocratique de 1989, Fawzi est un journaliste engagé dans l'aventure de la presse indépendante. Ramdane est un médecin attentif aux petites gens et aux actions humanitaires des islamistes. Peu à peu, l'écart va se creuser entre eux au grand dam de leur amie Asma, qui tente vainement d'empêcher le déchirement du groupe. Et c'est peu de dire, qu'au bout du voyage, aucun des trois ne sortira indemne de la tourmente et de cette nébuleuse terroriste qui suivra après, faisant éclater le groupe à tout jamais...El Manara dépeint la montée de l'obscurantisme en Algérie face aux velléités démocratiques de la période allant de 1988 à 1998, et ouvre une petite brèche d'espoir symbolisée par cette lumière même d'El Manara (tradition séculaire perpétuée dans la région de Cherchell) que tentent de faire éteindre les obscurantistes dans le film. Ce dernier est réalisé dans des conditions catastrophiques. C'est tout l'état moribond de l'industrie cinématographique en Algérie qui est mise en exergue. A fortiori, après la dissolution des trois entreprises étatiques (comme l'a bien signifié Belkacem Hadjadj dans le film qui fait la voix off, rappelant ainsi la descente aux enfers du cinéma algérien durant cette époque. Ce making of soulève un autre problème des plus épineux, bien touché du doigt par le réalisateur, à savoir le manque flagrant de formation dans le domaine du 7e art en Algérie - d'où l'atelier de trois semaines initié récemment par l'Association Arpa que préside Belkacem Hadjadj - que ce soit en matière de scénariste, de techniciens de lumière, de son, de script, etc. Aujourd'hui, si l'Etat donne de l'argent, cela risquerait encore de desservir le cinéma. Car pour justifier cet argent, on sera amenés à faire plutôt des choses. On a besoin véritablement d'envoyer nos jeunes en formation pour qu'on puisse faire des films dans les normes. Ici nous sommes confrontés à deux écueils majeurs. L'Ismas (L'Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l'audiovisuel) qui relève du ministère de la Culture et dépend aussi de l'enseignement supérieur. Par décret, ce n'est pas une école de cinéma. Elle prend des bacheliers de l'année. L'autre écueil se rattache à l'encadrement qui nécessite des titulaires en doctorat. Ces derniers ne connaissent rien au cinéma. Or si on demande de prendre en charge nos jeunes à l'étranger, on nous dit: «Vous avez votre institut. que faire?». Une interrogation relayée, lors du débat par cette dame dans la salle...A cela Belkacem Hadjadj finira par dire: «Les gens du cinéma, il faut qu'ils fassent de la résistance!»