Des accusations de corruption et d'ingérence du gouvernement cambodgien continuent d'entacher les activités du tribunal parrainé par l'ONU et chargé de juger d'ex-responsables Khmers rouges, menaçant ainsi la légitimité de la Cour, affirment des ONG. Les débats sur le fond du dossier « Douch », l'ex-tortionnaire en chef présumé du régime ultracommuniste de Pol Pot (1975-1979), ont débuté hier à Phnom Penh, ranimant les espoirs de justice plus de 30 ans après les faits, sans pour autant étouffer des doutes et des critiques sur le tribunal depuis sa mise en place en 2006. « L'espoir est que la Cour elle-même soit un modèle en vue d'un procès honnête et impartial », souligne Michelle Staggs, observatrice de l'ONG Asian international justice initiative, ajoutant que les accusations de corruption et d'ingérence politique ont été « une source d'inquiétude » dès le début du processus. Conçue pour inspirer la justice au Cambodge, où la corruption est fréquente et les tribunaux systématiquement accusés de défendre les intérêts des puissants, la Cour spéciale, composée de juges cambodgiens et internationaux, a été installée après d'interminables tractations entre le gouvernement de Hun Sen et les Nations unies. Après « Douch », elle doit aussi juger quatre responsables au profil plus politique du mouvement des Khmers rouges (Nuon Chea, Ieng Sary, Ieng Thirith, Khieu Samphan), mais aucune date n'a été fixée. L'âge avancé et la santé fragile de ces accusés, qui ont entre 76 et 83 ans, alimentent des doutes sur la tenue de leur procès avant leur décès. L'ex-numéro un, Pol Pot, est mort en 1998. Des accusations d'interférences de l'administration de Hun Sen ont refait surface récemment, lorsque la procureure cambodgienne du tribunal, contrairement à son homologue international, s'est opposée à l'ouverture d'enquêtes contre six suspects supplémentaires, affirmant que cela pourrait déstabiliser le Cambodge. « Je doute de cette explication », affirme Thun Sary, qui dirige Adhoc, une ONG locale, alors que dans le passé le gouvernement cambodgien aurait redouté que certains de ses membres soient poursuivis pour avoir été associés aux Khmers rouges. Plusieurs officiels cambodgiens ont déclaré publiquement que les procès devaient se limiter aux cinq suspects actuellement détenus. « Il est surprenant que ni les pays donateurs ni les Nations unies n'aient réagi avec inquiétude aux déclarations de responsables gouvernementaux, qui indiquent une tentative de contrôler les prises de décision des procureurs », affirme Heather Ryan qui suit les activités de la Cour pour l'ONG Open Society Justice Initiative. Lao Mong Hai, chercheur pour l'Asian human rights commission, a demandé au gouvernement d'éviter des messages qui « constituent une ingérence flagrante ». A la veille de l'ouverture des débats au procès de « Douch », Amnesty International a estimé que le tribunal devait « élargir » ses investigations si l'on voulait « réellement rendre justice aux millions de victimes » des Khmers rouges. Amnesty a également exigé des enquêtes « immédiates et approfondies » sur toutes les accusations de corruption, alors que des pays finançant le tribunal s'inquiètent d'informations selon lesquelles des personnels cambodgiens de la Cour auraient versé des pots-de-vin pour obtenir ou garder leur emploi. Le 20 mars, le Japon a annoncé une contribution supplémentaire « urgente » de 200 000 dollars, ce qui permettra au tribunal de verser les salaires du personnel cambodgien ce mois-ci.