Les vendeurs de cigarettes, les gardiens de parkings, les travailleurs saisonniers ne figurent pas dans ces statistiques. Le constat est alarmant. Les chiffres relatifs à l'emploi des mineurs, donnés par M.Issadi, se référant à une étude de l'Organisme national pour la promotion de la santé et le développement de la recherche scientifique (Forem), donnent le tournis. Plus de 500.000 enfants travaillent dans notre pays sans avoir atteint l'âge légal. Ces statistiques, qui ne sont pas très récentes, ne mentionnent pas les créneaux qui attirent les plus grandes proportions de mineurs. En effet, les petits vendeurs de cigarettes, les gardiens de parkings, les travailleurs saisonniers ne figurent pas sur la liste. Les domaines qui échappent aux statistiques sont très nombreux d'où la nécessité de tirer, au plus vite, la sonnette d'alarme. Aussi, si on actualisait ces chiffres, la situation s'avèrerait plus grave et plus alarmante. La Maison de la culture de Tizi Ouzou a accueilli, hier, une journée de sensibilisation sur le travail des enfants. Organisée par la Direction de l'action sociale (DAS), cette manifestation a réuni autour de la table, des conférenciers du monde associatif, des médecins et psychologues ainsi que les représentants de la Direction du commerce et de l'inspection du travail de la wilaya. Dans son allocution d'ouverture, le directeur de l'action sociale s'est voulu rassurant. «Le phénomène, dans notre pays n'a pas atteint des proportions aussi catastrophiques», a-t-il dit ajoutant qu'«il convient, dorénavant, de commencer à prévoir au lieu de guérir car notre pays ne fait qu'entrer dans une mondialisation capitaliste.» C'est dans les pays d'Asie que la situation est catastrophique car dans notre pays, les réseaux mafieux ne sont pas encore fortement implantés autour de l'exploitation de l'enfance. Mais, ce point de vue optimiste sera vite assombri par les interventions des spécialistes comme les psychologues et les représentants du mouvement associatif qui sont sur le terrain. Si dans ces pays d'Asie en proie aux multinationales, l'enfance est exploitée par des réseaux mafieux, en Algérie, la situation est plus grave et plus critique. La majeure partie des cas d'exploitation a comme origine, la famille ou le consentement des parents. Pour nourrir ce pourrissement social, un état de fait vient s'imposer: les statistiques, barème fiable d'évaluation des réelles proportions de la situation, sont quasi absentes. C'est l'omerta la plus absolue. C'est devenu un sujet tabou. Intervenant sur le rôle de sa direction, M.Hadjaz, de la direction du commerce a insisté sur la nécessité d'axer le travail sur les causes et non sur les effets. Il a mis le doigt sur la misère des familles qui encouragent leurs enfants à travailler souvent dans des circuits informels qui échappent au contrôle de leurs brigades. L'Etat et les parents doivent intervenir pour réorienter la tendance sociale qui culmine vers la dévalorisation du travail. L'enfant, aujourd'hui, est hanté par le désir de rattraper ses aînés qui se sont enrichis dans le commerce informel. Toutefois, le même orateur n'a sonné aucun chiffre sur le nombre de cas que son service a eu à réprimer dans le cadre de la lutte contre l'exploitation des enfants. De son côté, le représentant de l'inspection du travail ne sera pas plus fructueux en matière de statistiques. Il s'est limité à délimiter les domaines d'intervention de son organisme. C'est plutôt Mme Sersour Fahima, médecin du Samu social qui donne davantage de pistes pour une lutte efficace contre ce fléau. Les secteurs d'activités qui représentent un réel danger sur la santé des enfants sont le secteur de l'agriculture et le bâtiment. Ses services ont dénombré d'innombrables manières d'exploiter cette enfance tant malmenée. Elle cite en exemple l'exploitation domestique exercée exclusivement par les parents et l'exploitation dans la mendicité par les mêmes coupables. Sur un autre domaine d'intervention, Mme Sennous a évoqué l'aspect psychologique qui est la victoire sur l'adulte. La déviation des repères et de l'éducation familiale qui penchent de nos jours, à cause de la misère, sur le côté matériel a amené l'enfant à ne voir que le gain facile comme repère pour s'affirmer. Ainsi donc, si les chiffres qui ne parlent que des enfants travaillant dans des structures recensables, il est évident que ceux des mineurs livrés par la misère de leurs familles dans la «débrouille» sont plus troublants. Plus dramatique encore, le silence sur ce phénomène pendant de longues années a fini par l'insérer dans ce que l'on peut traduire par «l'ordinaire social». Mais en fait, le rôle de l'école s'est lui aussi engouffré dans ce torrent d'argent et de misère. Et si les familles pauvres sont les mises en cause directes en cultivant ce phénomène, il n'en demeure pas moins que si les parents sont les parents des enfants, l'Etat, lui, est le parent de tout le monde. Et, c'est lui le responsable dans tous les cas.