Le Président Bouteflika ne peut réussir son programme que si l'ensemble des Algériens contribuent, chacun à sa place et en tenant son rôle, à la poursuite des réformes dans le sens de la rupture intégrale et définitive avec l'économie rentière. C'est dans des circonstances parfaitement incontestables (90,24% des suffrages exprimés) que le Président A. Bouteflika a été élu à la magistrature suprême, le 9 avril 2009, pour la 9e élection présidentielle au suffrage universel, organisée en Algérie depuis l'Indépendance. Un mauvais procès a été fait au président de la République par certains courants de l'opposition, celui selon lequel il aurait commis un coup d'Etat légal en modifiant la Constitution par la suppression de la limitation du nombre des mandats. Au regard de la loi, la démarche du président de la République est totalement exempte de reproche. En effet, aux termes de l'article 176 de la Constitution, «lorsque de l'avis motivé du Conseil constitutionnel, un projet de révision constitutionnelle ne porte aucunement atteinte aux principes généraux régissant la société algérienne, aux droits et libertés de l'homme et du citoyen, ni n'affecte d'aucune manière les équilibres fondamentaux des pouvoirs et des institutions, le président de la République peut directement promulguer la loi portant révision constitutionnelle, sans la soumettre à référendum populaire si elle a obtenu les trois quarts des voix des membres des deux chambres du Parlement». En l'espèce, le projet de révision constitutionnelle a bien été approuvé par les trois quarts des membres de l'APN et du Conseil de la Nation. S'agissant de l'objet de la révision, il était de lever la limitation du nombre des mandats et non d'investir le candidat A. Bouteflika de la présidence à vie. Le seul coup d'Etat - hypothèse invraisemblable au regard des dispositions de la Constitution mais aussi de son esprit-, eût consisté à supprimer ou à limiter la liberté de candidature dont les modalités sont définies à l'article 70 de la Constitution, lequel évidemment n'a pas été touché. Le scénario du coup d'Etat est donc totalement absurde. De la même manière, il est permis de se demander en quoi la suppression du nombre de mandats peut porter atteinte aux droits de l'homme et du citoyen et en quoi elle affecte les équilibres fondamentaux des pouvoirs et des institutions? On ne voit pas comment. Aucun citoyen algérien n'était obligé de renouveler sa confiance à un président qui venait d'achever deux mandats consécutifs. En ce qui concerne l'accusation portée contre le président de la République d'être coutumier des pronunciamientos (1962 contre le Gpra, 1965 contre A.Benbella et 2008 contre la Constitution), la réplique est facile. A. Bouteflika est étranger à l'effondrement du Gpra en 1962 et toute personne qui connaît un tant soit peu l'histoire de notre pays sait que la crise de l'été 1962 a été le réceptacle des conflits de légitimité nés avant l'indépendance et dont les causes sont fort complexes. Quant au «coup d'Etat du 19 juin 1965», A. Bouteflika y prit une part décisive, mais au même titre que H. Boumediene, il était inspiré par la volonté de restaurer l'autorité de l'Etat mise à mal quotidiennement par les foucades de A.Ben Bella. S.Saadi soutiendra-t-il que l'interruption du processus électoral en janvier 1992, la démission contrainte de Ch. Bendjedid (président élu au SU), la suspension de la constitution de 1989 et l'instauration de l'état de siège étaient un coup de force contre la démocratie, alors que le camp des «démocrates» dont S.Saadi constituait la principale figure de proue ne cessait de harceler l'Armée pour qu'elle intervînt et empêchât la «barbarie intégriste» (qui avait remporté le 1er tour des législatives de façon on ne peut plus transparente), de réduire en miettes les minces acquis démocratiques obtenus depuis 1989. Au lendemain de l'adoption de la Constitution révisée du 12 novembre 2008, qui aurait pu interdire à L.Zeroual, H.Aït Ahmed, M.Hamrouche, A.Mehri, S.A.Ghozali, R.Malek, A.Benbitour, A.Benflis, A.Taleb, R.Benyelles, S.Saadi, M.Aït Larbi, les présidents des Laddh (qui s'émeuvent régulièrement des atteintes portées aux droits de l'homme en Algérie), un représentant de la fugace coordination des démocrates de mai 2007 de se présenter contre A.Bouteflika, dès lors que la candidature de ce dernier menaçait, semble-t-il, les fondements mêmes de la démocratie? Si aucune de ces personnalités ne s'est portée candidate, c'est parce qu'aucune n'est libre (à l'exception du respecté et respectable L.Zeroual qui s'est retiré volontairement de la vie politique en 1999). Il y a ceux qui possèdent force cadavres dans leur placard et qui redoutent qu'on les exhibe de leur vivant, ceux qui n'ont pas le courage d'affronter le SU et, enfin, ceux qui ont toujours besoin de paravents institutionnels pour exister politiquement. Le seul candidat libre était A.Bouteflika. A qui fera-t-on croire que les dés étaient pipés au soir de la révision constitutionnelle, alors qu'un ancien président de la République, cinq anciens chefs de gouvernement, un des chefs du FLN historique,un ancien ministre du Gpra devenu plus tard SG du FLN, un ancien SG du MDN et deux personnalités représentatives de la Kabylie auraient pu déclarer leur candidature, même si pour certaines d'entre elles, il ne pouvait s'agir que d'une candidature de témoignage et pour les autres de sa validation par le Conseil constitutionnel (question que personne ne pouvait préjuger). Les conditions du succès du prochain quinquennat ** Eliminer la logique rentière Même si la Constitution révisée du 12 novembre 2008 confère au président de la République des pouvoirs très étendus, même si celui-ci dispose d'une majorité parlementaire acquise à sa ligne politique et même si l'institution militaire et les services de sécurité le soutiennent sans faille, le Président Bouteflika ne peut réussir son programme que si l'ensemble des Algériens contribuent, chacun à sa place et en tenant son rôle, à la poursuite des réformes dans le sens de la rupture intégrale et définitive avec l'économie rentière. Il serait anormal que les résistances aux changements qui se sont manifestées au cours de ces dernières années dans les sphères de l'Etat continuassent de bloquer le processus de transformation de la société algérienne voulue par le président de la République. De même, il serait criminel pour l'avenir des générations montantes, alors que le Président Bouteflika a proclamé l'avènement de l'ère posthydrocarbures, que les projets relatifs aux énergies de substitution ne soient pas rapidement mis en oeuvre. Nombre d'experts étrangers (dont le Dr I. WERENFELS du German Institute for International and Security Affairs) déplorent l'indifférence de l'Algérie à l'égard des énergies de substitution (notre pays ne participe même pas aux projets euroméditerranéens sur le développement du solaire par exemple) ainsi que d'autres sources d'énergie non polluantes pour lesquelles au surplus nous disposons d'avantages comparatifs naturels. ** Responsabiliser tous les acteurs économiques Par ailleurs, pour pouvoir créer trois millions d'emplois en cinq années et encourager l'essor de 200 000 PME/PMI, quelques conditions doivent être réunies: a- la modernisation du secteur bancaire qui passe par la privatisation de quelques banques publiques et par le développement du marché financier (essentiellement du marché obligataire) sous réserve que la Banque d'Algérie soit mise en mesure d'assurer un contrôle prudentiel efficace sur les banques primaires, d'où la nécessité de renforcer et de perfectionner ses outils d'intervention; b- revenir sur le concept de banque universelle, au moins pour une certaine période, en réintroduisant la distinction entre banques de dépôt et banques d'affaires, celles-ci étant appelées à accompagner les entreprises dans la réalisation de leurs projets en assumant tous les risques y afférents; c- continuer d'attirer les investisseurs étrangers et favoriser un climat propice aux affaires. Gardons-nous de tirer des conclusions trop hâtives de la crise financière mondiale qui n'a condamné ni le capitalisme ni le libre-échange, comme le prouve la réouverture du cycle de Doha (pour la reprise des négociations au sein de l'OMC). Les projets industriels et commerciaux qui intéressent l'Algérie ne peuvent pas tous être réalisés en partenariat avec des entreprises locales, tout au moins tant que ces entreprises n'auront pas achevé leur mise à niveau sur tous les plans (situation financière, management, capacités technologiques, gestion de projets, etc.).La réduction des inégalités sociales passe par l'amélioration du rendement de la fiscalité ordinaire, lequel reste insignifiant (à peine 8% du PIB) après 20 ans environ d'économie de marché. Vouloir financer les dépenses publiques et la protection sociale par les seules ressources de la fiscalité pétrolière surtout au moment où les prix de l'énergie sont orientés durablement à la baisse (en dollars constants) constituerait une nouvelle fuite en avant. Mais qu'il faille revoir, en tout cas, le niveau des prélèvements pour stimuler l'appareil de production et favoriser la création d'emplois est devenu une nécessité autant économique que sociale. Par ailleurs, il semble urgent de mettre en oeuvre la fameuse réforme des finances locales qui rancit sur les rayonnages du temps. En la décrétant, le chef de l'Etat réhabilitera le travail et la production et pénalisera la spéculation et l'esprit de rente en permettant par ailleurs aux collectivités locales de se procurer les ressources dont elles ont besoin. Quant à la lutte contre le marché informel (qui représente 40% du PIB) et qui fait vivre des centaines de milliers de familles en Algérie, elle ne pourra réellement être entreprise que lorsque des PME/PMI par milliers seront créées pour être en mesure d'absorber la demande croissante d'emplois (quelque 200 à 250.000 primo demandeurs d'emploi se présentent chaque année sur le marché du travail). Par ailleurs, se pose la question de la pauvreté salariale. C'est le problème social et économique n°1 de notre pays. Le démantèlement progressif du marché parallèle (qu'aucun Etat dans le monde, y compris dans le monde occidental développé n'a pu éradiquer) passe également par la valorisation substantielle des salaires directs, notamment dans le secteur privé, donc par l'accroissement du pouvoir d'achat des Algériens qui demeure insuffisant au regard des potentialités de redistribution des richesses que recèle notre pays. S'agissant de la lutte contre la corruption, il conviendra d'instituer des contrôles a priori extrêmement stricts et, pour ce faire, pourquoi ne pas renforcer les pouvoirs de l'IGF et ceux de la Cour des comptes, tout en instituant une collaboration permanente entre ces deux institutions, ce qui se payera sans doute d'un surcroît de bureaucratie. Mais ce sera de la bureaucratie utile, en ce sens que l'Etat contrôlera l'utilisation des fonds publics en toute transparence. Pour autant, la corruption demeure un phénomène extrêmement lourd, multiforme, quasiment indétectable, même s'il ne constitue pas une fatalité, comme le montrent les progrès réalisés par un certain nombre de pays (Corée du Sud, Turquie, Indonésie, etc.) où elle existait à l'état endémique, il y a quelques années seulement. ** Trancher le noeud gordien du système éducatif Reste la question essentielle de la formation et du devenir du système éducatif. Les retards accumulés par notre pays dans le domaine de la recherche scientifique (appliquée et fondamentale) sont considérables. L'expertise récente de la Banque mondiale au profit du Cnes a fait apparaître les nombreuses carences de notre système de formation des élites et l'état chaotique de la recherche scientifique. Tous les paramètres sont à revoir: a- les systèmes de normes et de règles régissant la recherche scientifique; b- les produits de la recherche; c- le financement de la recherche; d- l'évaluation de la recherche et des chercheurs; e- l'organisation de la recherche; f- la valorisation de la recherche (retombées technologiques, stratégiques, sociales, etc.). L'articulation entre ces différents aspects n'est pas encore réalisée en Algérie. Pour mettre en place un système national de recherche qui soit digne de ce nom, il faudrait 25 ans, même avec l'aide de l'expertise étrangère et même en refondant l'enseignement fondamental et secondaire aujourd'hui sinistré. Comment l'Algérie peut-elle se projeter dans l'avenir si son école forme des analphabètes dans les deux langues de travail en usage? Est-il normal qu'aucun responsable algérien ne se soit ému du fait que nombre de lycées de la capitale ne disposent pas d'une classe de «Terminale maths élem», paradoxalement au moment où l'Algérie a irrépressiblement besoin d'ingénieurs de production, de chimistes, de physiciens, de technologues (quand ce ne serait que pour contribuer à la mise en oeuvre de la stratégie industrielle annoncée)? Tous les pays ont compris ces enjeux, à commencer par nos voisins immédiats (la Tunisie et le Maroc) qui ont accru de façon très sensible leur avance technologique, scientifique et culturelle sur l'Algérie, ce qui, au regard des centaines de milliards de DA dépensées chaque année par l'Etat algérien pour l'enseignement, est totalement inacceptable. Il reste peu de temps au Président Bouteflika pour rompre les amarres avec un ordre désuet, archaïque, contre-productif et qui prépare des lendemains de dépendance pour nos enfants. Un nouvel ordre mondial est en train de se mettre en place. L'Algérie doit y prendre toute sa part. Pour ce faire, il faut et il suffit de confier les postes de responsabilité les plus stratégiques aux véritables enfants du pays. C'est le principal défi que le Président doit relever. (*) Professeur d'enseignement supérieur Ancien chargé de mission à la Présidence de la République