Dans son message aux travailleurs à l'occasion de la célébration de la Fête internationale du travail, Abdelaziz Bouteflika a qualifié de plaie la question du chômage. Le président de la République réputé pour son pragmatisme mais aussi pour la prudence qui, de tout temps, a caractérisé la plupart de ses interventions, n'aurait jamais osé brosser un tableau aussi noirci de la situation de l'emploi. Si le président de la République s'est félicité de la souveraineté économique retrouvée de l'Algérie, il a aussi souligné les questions liées au travail demeurant au coeur de la politique qu'il compte mettre en oeuvre et que le gouvernement mettra un point d'honneur à appliquer. Et c'est là que les choses sérieuses commencèrent à pointer le bout du nez car le chef de l'Etat n'ignore pas que cela ne relèvera pas d'un tour de passe-passe. Il brosse un tableau qui est loin de refléter les déclarations triomphalistes de ses ministres: «Cette orientation trouvera son point d'application, d'abord dans l'action pour la résorption du chômage, cette plaie, qui bien que fortement réduite au cours des récentes années, pèse encore trop lourdement sur le corps social.» Le premier magistrat du pays qui connaît la portée des mots n'en aurait pas utilisé d'aussi forts, d'aussi graves uniquement pour le plaisir de les prononcer en direction de ces masses laborieuses qui l'ont porté triomphalement à la magistrature suprême. Non, il ne peut les décevoir ni leur promettre l'impossible. La cacophonie qui a entouré les chiffres du chômage relève presque du secret d'Etat. Un peu comme pour brouiller les pistes. Si, en général, observateurs et classe politique s'accordaient sur un pourcentage de chômeurs qui dépassait allègrement les 30% en 1999, il n'en fût plus de même par la suite. Il y eut bien entendu les chiffres avancés par l'Office national des statistiques qu'ils l'ont annoncé il y a près de deux ans aux alentours des 13%. Les services du ministère de la Solidarité nationale, selon leur propre enquête, l'ont situé autour des 11%. C'est Djamel Ould Abbès, premier responsable de ce département ministériel, qui l'a annoncé en personne. Le nouveau dispositif de promotion de l'emploi qui doit entrer en application en juin 2009, donc dès le mois prochain, vise la création de pas moins de 400.000 emplois par an. «Selon les projections, la mise en oeuvre de cette stratégie permettra de réduire le taux de chômage à moins de 10% d'ici l'horizon 2009-2010 et à moins de 9% durant la période qui s'étalera entre l'année 2011 et l'année 2013», a déclaré Tayeb Louh lors d'une journée d'information consacrée à l'emploi, organisée à Alger il y a près d'une année. Dans une conjoncture économique mondiale qui a forcé des entreprises de premier plan à licencier à tour de bras (Genéral Motors, ArcelorMittal...), quand elles n'ont pas tout simplement envisagé de mettre la clé sous le paillasson, le programme du ministre de l'Emploi relève d'une véritable gageure. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont estimé que la croissance économique en Algérie ne dépassera pas les 2,1% en 2009 alors que le taux d'inflation, selon l'Office national des statistiques (ONS), a atteint 6,1% pour le premier trimestre de l'année en cours. Selon l'expert international Abderrahmane Mebtoul: «Pour créer 3 millions d'emplois entre 2009 et 2014, il faut un taux de croissance de 6 à 7% au minimum par an.» Si l'on ajoute à cela la dégringolade des prix du baril de pétrole, autant dire que la stratégie du ministre de l'Emploi dans le cas où elle serait menée à bon port relèverait d'un exploit à inscrire dans les annales. Les chiffres du chômage auraient-ils été tronqués et à quel dessein? Calculés selon les critères du Bureau international du travail, et en l'absence d'instituts spécialisés en la matière, ils sont loin de refléter la réalité. La Fonction publique grosse pourvoyeuse d'emplois, plafonne à 1.600.000 emplois tandis que les contrats à durée déterminée et le travail au noir n'assurent que des postes d'emploi précaires. Le meilleur baromètre est inévitablement la rue. Les cafés ne désemplissent pas, les trottoirs sont bondés alors que les routes et les autoroutes font l'objet de bouchons à longueur de journée. Compter environ 1 million de chômeurs sur une population active estimée à plus de 9 millions d'âmes après avoir fait ces observations, revient à avoir la tête dans les nuages et nier une évidence qui saute aux yeux.