On lui a érigé des maisons, organisé des semaines, des mois, des années et des festivals, même le Panaf, mais cette maudite culture boude toujours. Le téléphone portable collé à l'oreille, un jeune Algérois adossé à l'un des murs du Musée d'art moderne situé à la rue Larbi Ben M'hidi, répond: «Oui! Allo! Je suis juste en face de Quick». Voilà qui résume une certaine conception de la culture dans notre pays: quand on a le dos tourné au Musée on ne peut voir que le gargotier ou le restaurant d'en face. Le Musée d'Art moderne d'Alger, le Mama, dans les locaux des anciennes Galeries algériennes, est très peu connu des citoyens. L'entrée à ce musée est gratuite mais il n'accueille que quelque centaines de personnes par jour. En face du Mama, il y a Quick. Chez ce géant belge de la restauration rapide, qui a élu domicile dans l'ancien café Novelty de la place Emir-Abdelkader, on propose des hamburgers, des cheeses et un tas d'autres recettes. Etrange coïncidence, les deux locaux ont été inaugurés en 2007. Mais l'un accueille des milliers de personnes qui souvent s'y rendent en famille chaque jour et l'autre n'en reçoit que quelques centaines. Peut-on donc parler de culture dans un pays où les musées sont désertés? Peut-on parler de culture quand la chawarma s'étale à perte de vue? Peut-on parler de culture quand la désertification intellectuelle avance inexorablement? Peut-on parler vraiment de culture dans un pays où le commerce des pizzerias est de plus en plus florissant et les librairies sont contraintes, pour une raison ou une autre, de baisser rideau? Comment peut-on parler de lecture quand l'importation du livre est soumise aux mêmes procédures que celles des dentifrices? N'impose-t-on pas de certificats phytosanitaires, des certificats d'origine et de conformité, en plus des traditionnels visas des ministères de la Culture, des Affaires religieuses et de l'Intérieur? L'annonce de la fermeture définitive de la «Librairie des Beaux-Arts» a été pathétique. «Comment sortir de ces carcans répressifs et bureaucratiques? Comment satisfaire la soif inextinguible de cette jeunesse assoiffée de savoir et de liberté? Comment aider les professionnels à mieux se former et s'informer lorsque de tels verrous sont imposés à la circulation des livres», écrivait le patron de cette désormais ex-librairie dans un communiqué hier. Une librairie qui ferme est une porte de l'obscurantisme qui s'ouvre. Ce que disent les statistiques dans notre pays est un véritable drame pour se permettre encore le luxe de fermer des librairies. Une étude prospective réalisée par le Centre mondial de consulting économique et de prospective a indiqué que le taux de lecture de livres en Algérie ne dépasse pas 6,8%, alors que le taux de personnes ne lisant point est de 56,86%. Ces statistiques découlent d'un sondage mené auprès de 1000 personnes au niveau de 10 wilayas du pays et visant à faire la lumière sur le déficit de lecture en Algérie. Le sondage révèle une absence quasi totale d'intérêt du citoyen algérien pour la production intellectuelle et culturelle algérienne ou étrangère. Les résultats font ressortir également que 16% des personnes interviewées lisent des livres religieux, 9% des livres d'informatique et d'économie, alors que 8% lisent des livres de droit. Pour la langue de prédilection des lecteurs, le sondage rapporte que la langue arabe arrive en tête avec 51%, suivie par la langue française avec 35,2% et la langue anglaise 14,2%. S'agissant du taux d'abonnement aux magazines périodiques et quotidiens nationaux et étrangers, il est tout simplement insignifiant. Par exemple, le taux d'abonnés aux périodiques ne dépasse pas 14,2%. Mais que doit-on faire pour passer d'une société non-lectrice à une société lectrice? Evidemment, la mutation ne saurait s'opérer par un traitement partiel et conjoncturel mais plutôt par le changement radical du système éducatif, politique et culturel. On lui a construit des maisons, des musées on lui a organisé des semaines, des mois, des années même en France et des festivals, même le Panaf, mais cette maudite culture boude toujours.