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De Khalifa aux cimaises du « MaMa »
Le nouveau musée d'art moderne d'Alger inauguré officiellement aujourd'hui
Publié dans El Watan le 26 - 11 - 2007

Wech kho, on se dit en face du MaMa, le nouveau musée ? » Au 25, rue Larbi Ben M'hidi, une bâtisse d'un siècle d'âge renaît discrètement de ses vieux murs, et bientôt, les Algérois vont, en effet, intégrer ce nouveau repère à leur carte mentale et topographique.
Le Mama. Littéralement : le musée d'art moderne d'Alger, anciennement Galeries algériennes, plus anciennement encore Galeries de France, un bâtiment néo-mauresque datant du début du siècle passé, 1909 exactement, conçu et dessiné par l'architecte Henry Petit. Cent ans plus tard, Halim Faïdi, jeune architecte audacieux qui affiche dix-huit ans de métier au compteur, oscillant entre Paris et Bab El Oued, s'empare du lieu resté fermé une quinzaine d'années pour y injecter un sang (et un sens) neufs. L'opinion l'a découvert pour avoir pris une part active au débat - pour ne pas dire la polémique - qui agite la profession au sujet du grand projet de la mosquée d'Alger. C'est à lui, en effet, qu'a échu la lourde tâche de réhabiliter les ex-Galeries algériennes, celles-là même qui, pour la petite histoire, avaient failli être bradées au profit de l'empire Khalifa. Les branchés art contemporain ne manqueront pas d'avoir une pensée sonore pour le MoMa, le fameux Museum of Modern Art de New York. « Le Museum of Modern Art of Algiers, convient-il de le souligner, est le premier en Algérie, voire « de tout le monde arabe », assure l'architecte. Halim Faïdi nous gratifie d'une visite guidée haute en couleurs - à dominante blanche tout de même - dans l'antre de ce tout nouveau sanctuaire de l'art encore en chantier pour les ultimes détails avant son inauguration (partielle) ce lundi 26 novembre. L'entrée a changé. Ce n'est plus celle, sur le côté, du temps des ex-Galeries. Une entrée « académique » a été aménagée au milieu du bâtiment. « Avant, c'était une entrée en entonnoir qui ‘'aspirait'' les clients pour les amener à consommer. Aujourd'hui, le parcours a totalement changé. On n'est plus dans le ‘‘Temple du Chiffon'' mais dans le ‘‘Temple de l'Art''' », lance, un rien lyrique, notre précieux guide.
Un écrin de lumière
Une arche ouvre le musée après avoir franchi l'entrée centrale. D'emblée, une lumière blanche, accentuée par le blanc des murs et des cimaises, nous happe. Le bâtiment entier baigne dans cette lumière douceâtre qui ne manque pas d'envelopper le visiteur. La conception-lumière est confiée à George Berne, un éclairagiste de renom, celui-là même « qui met en lumière l'un des tableaux les plus célèbres au monde : La Joconde ». Excusez du peu... Un autre détail ne lassera pas d'attirer l'attention de l'observateur averti qui a souvenance de l'ancienne bâtisse : la disparition du grand escalier qui menait autrefois vers les étages supérieurs. En réalité, il n'a pas disparu. Il a simplement été déplacé. Halim Faïdi rassure : « Nous n'avons rien enlevé. Nous avons simplement créé un nouvel ordre. Je comprends que cela émeuve les nostalgiques. Mais il s'agit d'une réhabilitation, pas d'une restauration. Restaurer, c'est refaire à l'identique. Réhabiliter, c'est injecter une nouvelle fonction. Le bâtiment est resté, mais il est investi d'un sens nouveau. » Le MaMa n'est prêt qu'à moitié. Il faut savoir que celui-ci est divisé en deux tranches : une partie de 4500 m2 qui sera inaugurée aujourd'hui. Elle est constituée d'une grande salle d'exposition et de plusieurs espaces répartis sur les cinq étages du bâtiment. Attenante à celle-ci, l'autre partie nous donne à voir le bâtiment tel qu'il était avant sa transformation : murs décrépits, boiserie abîmée, parquet éventré. Ce qui nous autorise d'ailleurs à mesurer, par comparaison, l'ampleur du travail accompli et la qualité de l'intervention qui a été faite sur l'édifice. « Et en un temps record. » Cette partie-là devrait être livrée en 2009. Le tout fait dans les 13 000 m2. Une tâche colossale. Concernant le choix du blanc comme couleur dominante (« du blanc MaMa », insiste l'architecte, et signé La Seigneurie, référence lourde en peinture bâtiment), plusieurs raisons y ont milité. « D'abord, le blanc est une couleur qui dilate l'espace. L'espace, ce n'est pas une question de mètres carrés, c'est une impression. » De fait, l'édifice semble du coup avoir sensiblement augmenté de volume. « Le blanc, c'est aussi une couleur neutre sur laquelle viennent se détacher les œuvres. Avant, le bâtiment était surchargé de couleurs. Cela ne convient pas à un musée », poursuit le chef de projet. L'air, signale-t-on, est traité, avec, à la clé, une hygrométrie étudiée. Les aires de stockage sont dûment aménagées. « Ce n'est pas pareil, selon que les œuvres à conserver sont de la peinture à l'huile, des aquarelles ou des sculptures en bois », note l'architecte. Pour le choix des matières, il a été opté pour des ingrédients là aussi « neutres » : verre, métal, inox… « A partir de là, l'intervention est moderne », souligne Halim Faïdi. Notre interlocuteur défend l'idée qu'un musée d'art contemporain se doit d'être le plus sobre et le plus « dépouillé » possible pour s'effacer devant les œuvres. « Certes, le musée est le premier objet qu'on expose et la première œuvre qu'on remarque », argue-t-il. « Mais, il ne doit pas entrer en concurrence avec les œuvres. » « Nous, nous proposons un contenant qui s'adapte à toutes les scénographies. »
Koraïchi and Co
On l'imagine bien : un musée d'art moderne répond à une conception, une « écriture », muséologique. Aussi, le regard d'un artiste, international de préférence, est important pour juger de la « conformité » du bâtiment à la fonctionnalité nouvelle qui lui est assignée. Le choix a été porté à ce propos sur Rachid Koraïchi, le célèbre calligraphe faisant ainsi office de conseiller artistique. Le cabinet Halim Faïdi, qui s'est adjugé le projet sur concours national s'est présenté en « groupement de maîtrise d'œuvre ». Groupement qui, outre l'architecte en chef et le créateur lumière George Berne, compte un designer industriel très coté, en l'occurrence Chafik Gasmi, directeur artistique de Baccarat, un ingénieur concepteur (Lakhdar Ramdhan, GLI) et un graphiste chargé de l'identité visuelle (Noureddine Boutella). « Le musée sera inauguré officiellement ce 26 novembre par une exposition de l'artiste Malek Salah. Le vernissage se fera en présence de vingt ministres de la culture arabe. Une autre lui emboîtera le pas sur le thème de l'âge d'or des sciences arabes. Le 1er décembre, la ministre de la Culture invite la société. Il y aura en gros toute la jet-set algéroise, les people, les ‘'dekhlistes'' », détaille Halim Faïdi. On croit savoir, par ailleurs, que Nicolas Sarkozy, qui effectuera une visite officielle en Algérie, courant décembre, pourrait y faire un tour en compagnie de Bouteflika. Le musée, précise Halim Faïdi, sera ouvert pendant une durée « expérimentale » de six mois. Passé ce délai, on ferme tout pour se replonger dans la deuxième tranche « en espérant que nous aurons plus de moyens », lance notre guide. Le coût de l'opération ne nous a pas été révélé. Le projet, dans sa globalité, est très ambitieux : outre l'atrium principal et secondaire dédiés aux salles d'exposition proprement dites sont prévus une librairie, des ateliers de création pour enfants, un auditorium, une cafète « branchée » ainsi qu'un restaurant panoramique sur la terrasse. Comme tout édifice de ce type, l'aménagement du musée a été fait selon un parcours bien précis. « Le parcours est déterminé par l'itinéraire du visiteur selon qu'il veuille visiter une expo temporaire ou bien une expo permanente », fait remarquer l'architecte. A noter, par ailleurs, que sur le plan urbanistique, le MaMa s'inscrit dans un « parcours culturel ». Celui-ci va du Bastion 23 à la Fac centrale en passant par La Casbah, le TNA, l'Historial (confié à l'architecte Larbi Marhoum), la Cinémathèque algérienne, la statue l'Emir et la librairie du Tiers-Monde.
L'art contemporain à la rue Tanger
Contrairement à beaucoup de nos espaces culturels qui donnent le sentiment d'être coupés de leur environnement immédiat, multipliant les barrières à la fois physiques et symboliques, le MaMa se veut ouvert sur le monde mais surtout sur Alger et les Algérois, connecté à ce quartier classé « down town » où l'on savoure de la bonne loubia-sardines juste à côté, à la rue Tanger. C'est ce qui explique que les larges vitrines des anciennes Galeries soient nues de façon à ce que « l'œil pénètre directement à l'intérieur du musée ». Les gens posent des questions. Les riverains s'étonnent du changement opéré. « Certains croyaient qu'on était en train de faire une supérette et qu'on allait manger l'argent du peuple. Une vieille nous criait : ‘'frança bnat wen touma tkessrou'' (Vous êtes en train de détruire ce que la France a construit) », confie l'architecte. Et ça n'en finit pas. Voilà d'ailleurs un jeune « oulid Saint-Eugène » qui prend l'architecte à partie : « Pourquoi vous avez modifié l'entrée comme ça ? », dit-il en guise de « salamalikoum ». « J'ai vu un reportage sur TV5 où on vous reproche d'avoir enlevé l'ancien escalier. Je vous le dis franchement : moi, je suis issu d'une famille conservatrice et j'aimerais que ce lieu reste comme il était avant. lekdim ma yetmordernizache » Et Halim de s'ingénier avec beaucoup de pédagogie à lui expliquer : « Mais il ne s'agit pas d'une restauration, mon ami. C'est une réhabilitation. Ça va être un très beau musée. Cette bâtisse, redinaha aroussa. (Nous en avons fait une belle mariée). Je vous invite à visiter. » Le jeune est touché : « Merci en tout cas de faire cela pour la culture algérienne. Je viendrai. » Nous aussi. Voilà huit mois que le projet dure (les travaux ont commencé en mars 2007). Le grand vernissage (du musée) était annoncé, rappelle-t-on, pour le 5 Juillet. Toujours cette histoire de « délais politiques » qui mettent les maîtres d'œuvre dans l'embarras. La pression tombe peu à peu. Halim se pavane désormais dans les travées du musée en souriant et blaguant avec ses nombreux collaborateurs, « une main-d'œuvre 100% algérienne » dont il se dit très fier. Ils s'affairent qui à taper le parquet en chêne, qui à fignoler le dispositif lumière ou apporter les dernières retouches à la maçonnerie. Côté cimaises, on commence à accrocher les œuvres pour le vernissage inaugural. A l'extérieur, la façade a été soigneusement ravalée. Pour l'éclairage externe du musée, une subtile mise en lumière a été adoptée en restaurant les anciens lanterneaux en cuivre ciselé de l'immeuble néo-mauresque. Halim Faïdi est formel : « Les artistes du monde entier vont baver pour venir exposer ici. C'est un musée très particulier. Tous les musées d'art moderne se ressemblent. Ils on tous été construits sur les mêmes standards. En gros, il n'y a que le Centre Pompidou à Paris et le musée Guggenheim de Bilbao qui se distinguent. Celui-ci a la spécificité d'être érigé dans un cadre néo-mauresque. C'est une expérience unique au monde. » En matière de réhabilitation, qu'il s'agisse du vieux bâti de la capitale ou des autres villes à forte valeur patrimoniale, le chantier est un cas d'école. L'on ne peut s'empêcher d'évoquer, en écho, le projet si controversé de la mosquée d'Alger et les enjeux esthético-idéologiques qui y président : « Il y avait juste une erreur de casting général sur ce projet. On ne peut pas bâtir un lieu ‘'saint'' en se basant sur des procédés qui peuvent paraître malsains », tranche l'architecte. Une prise de position qui lui vaudra d'être rangé « sur une black-list », comme il dit, avec son confrère et ami Larbi Marhoum, « mais cela ne me dérange pas ».


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