Seule une réforme de l'Etat peut juguler la corruption érigée, ces dernières années, en norme. Il y a quelques années, un certain Jean Ziegler, célèbre journaliste et personnalité politique suisse, confiait à un quotidien de la presse nationale que «des particuliers algériens possédaient dans les banques helvétiques pas moins de 30 milliards de dollars, acquis, selon lui, de manière détournée et illégale». Il s'est même demandé, alors, pourquoi l'Etat algérien ne faisait rien pour reprendre cet argent facilement récupérable qui, d'après lui, appartiendrait à ce dernier et donc à la collectivité nationale tout entière. Vrai ou faux? Si cette question n'a jamais eu de confirmation ou de démenti officiel, les observateurs ont toujours lié le mutisme qui entoure ce dossier à un déficit de volonté politique de la part des pouvoirs publics successifs qui n'ont jamais essayé de creuser un peu plus le volet des transactions douteuses avec les partenaires étrangers ou celui de l'enrichissement rapide et ostentatoire. Il est vrai que le problème est très délicat et surtout très complexe, parce qu'articulé autour de deux termes: l'interne et l'externe d'une part, et que, d'autre part, malgré tous leurs discours paternalistes et moralisateurs, les pays occidentaux n'ont, eux aussi, aucune volonté politique pour juguler le phénomène ou tout au moins le circonscrire à des proportions moins flagrantes aux yeux de ceux qui en sont les premières victimes: les peuples des pays du tiers-monde. Car, sans corrupteurs pas de corrompus et donc pas de corruption. Cette formule vieille comme le monde régit ce phénomène social et politique dans toutes les sociétés de la planète que tout le monde dénonce, mais auquel personne n'apporte de solution viable. Mais, il ne faut pas se voiler la face, la corruption en Algérie a pris des dimensions terribles touchant presque tous les rouages et les niveaux de l'Administra-tion. En effet, pour le «petit citoyen», aujourd'hui, tout le monde est corrompu ; du petit planton aux plus hauts responsables dans les ministères, et cela est devenu, comme l'a déjà dit le chef de l'Etat, le Président de la République Abdelaziz Bouteflika lui-même, dans l'un de ses discours à Oran, «presque la règle» au lieu de l'exception. C'est qu'en quarante ans d'indépendance, la scène algérienne a été souvent le théâtre d'affaires de corruption à la fois trop flagrantes et trop obscures pour être démêlées par des procédures judiciaires ordinaires. Du fameux pavé jeté dans la mare par un certain Abdelhamid Brahimi dans les années 90 et selon lequel la corruption dans les transactions avec l'extérieur a fait fuir à l'étranger pas moins de «26 milliards de dollars», aux différentes révélations de ces dernières années concernant de multiples scandales touchant des secteurs entiers de l'économie nationale (produits alimentaires, matériaux de construction, médicaments, douanes...), le hénomène de la corruption est devenu le mal endémique du processus de développement du pays ou plutôt, selon certains, de son sous-développement. A l'heure de la mondialisation, de la démocratie et de l'économie de marché, la corruption peut-elle être apprivoisée, c'est-à-dire limitée à des niveaux non menaçants pour la crédibilité des institutions de l'Etat et donc la stabilité du pays? Pour les analystes du phénomène de la corruption, la démocratie et le marché libre ne sont pas nécessairement des remèdes à ce fléau. Un pays qui se démocratise sans se donner les moyens de promulguer et de faire appliquer des lois relatives aux conflits d'intérêts, à l'enrichissement financier illicite, à la concussion et à la corruption, risque de voir ses nouvelles institutions encore fragiles, sapées par des aspirations à l'enrichissement personnel. En d'autres termes, dans un pays où la libéralisation de l'économie ne s'accompagne pas d'une réforme de l'Etat, les fonctionnaires peuvent être fortement tentés de s'approprier une part des nouvelles richesses du secteur privé. Ces tentations, qui existent aussi bien dans les démocraties à économie de marché que dans les pires dictatures, obéissent, en fait, à l'évolution observée ces dernières années dans l'ensemble de l'économie mondiale fortement gangrené par des réseaux mafieux. Et l'Algérie ne fait que s'insérer dans cette économie mondiale mercantiliste où l'illégal est devenu presque la norme dans plusieurs parties du monde. Quant à la corruption tant décriée, elle est aussi une forme de pillage des ressources des pays du tiers-monde dont fait partie l'Algérie.