Il y avait de la poterie, des bijoux, des gâteaux traditionnels, de l'apiculture mais point des produits à base de cerises. Jeudi dernier, au deuxième jour de la Fête des cerises, cette dernière «n'avait de cerise que le nom». En effet, les quelques stands dressés à l'entrée du Centre culturel Ahcène-Mezani avaient plutôt l'air de tout sauf de la cerise. Il y avait de la poterie, des bijoux, des gâteaux traditionnels, des produits de l'apiculture mais point de cerises. Juste trois commerçants ayant installé quatre caisses de cerises avec des prix inabordables. Les visiteurs sont d'abord surpris par le fait qu'une fête qui porte le nom de cerise est réduite à des expositions sur tout sauf sur l'objet de l'événement. Il est donc légitime de se demander pourquoi une exposition d'objets traditionnels porte le nom de Fête des cerises? Il se pourrait que les organisateurs aient voulu faire de ce rendez-vous une occasion pour relancer cette activité qui était jadis célèbre, particulièrement depuis que des artistes d'expression kabyle avaient été empêchés de se produire en 1984. Mais à entendre les agriculteurs rencontrés au Centre culturel Ahcène-Mezani, il est fort à craindre qu'au moment où cette fête s'organise, ce fruit risque de disparaître carrément car la production des cerises ne cesse de péricliter et de manière effarante d'année en année. Mourad Mouazer, présent à cette fête, dit que sa famille, à elle seule, possède pas moins de 400 cerisiers dans son village Bellias à Tizi Rached. Mais, depuis au moins cinq ans, la production ne cesse de baisser. C'est pourquoi, dit-il, il vend aujourd'hui ce fruit entre 400 et 500 DA. L'absence de la cerise à la fête de Larbaâ Nath Irathen est due d'abord à la pauvreté de la production. «Il n' y a pas de récolte cette année», lâche Omar Afir, également agriculteur, qui prend part à cette manifestation juste pour la forme. Car en une journée, il n'arrive à écouler que quelques kilogrammes. Mourad Mouazer nous a confié que, jeudi, les autorités se sont engagées à leur octroyer une aide consistante, notamment en matière de produit de lutte contre un insecte très nocif qui est pour une grande part dans la dégradation de la production. Il s'agit d'un insecte appelé par les agriculteurs «Capenode». Ce dernier résiste à tous les insecticides. «Nous avons employé tous les produits existant sur le marché, mais aucun résultat n'a été obtenu», souligne Omar Afir. Pis encore, cet insecte a une capacité de prolifération inouïe, il peut pondre jusqu'à trois cents oeufs, d'après notre interlocuteur. L'insecte résiste aussi au climat; il peut survivre pratiquement à n'importe quelle température. La baisse de production de la cerise, cette année, a également un rapport direct avec le fait que l'hiver 2009 a été rude. Les pluies enregistrées durant le mois d'avril dernier ont abîmé les fleurs des cerisiers aux quatre coins de la wilaya de Tizi Ouzou. Au moment de notre passage, l'agriculteur qui proposait sa production à la vente venait de recevoir une autre marchandise. Il s'agit d'une qualité supérieure appelée «la dure». D'ailleurs, alors que la première est affichée à 400 DA, celle-ci est fixée à 500 DA. Nous sommes restés près d'une demi-heure avec les vendeurs de cerises et nous n'avons constaté aucune vente. Les clients demandent les prix et s'en vont en exprimant leur étonnement devant cette cherté. «Je suis venu à Larbaâ Nath Irathen spécialement pour acheter au moins trois kilogrammes, mais il s'avère que le prix est presque le même que celui affiché à Tizi Ouzou-ville. Dans les magasins, la cerise se vend aussi à 400 DA. Je me demande alors pourquoi organiser cette fête pour pratiquer les même prix?», nous dit un père de famille, désappointé. Parmi les clients les plus courageux, il y a ceux qui achètent 500 grammes à 200 DA juste pour marquer leur présence et surtout pour satisfaire les enfants. Abdelkader Rafa, commerçant à Aït Aggouacha, lui, ne peut même pas proposer des prix compétitifs. Il est obligé de vendre sa marchandise à 500 DA le kilo car il l'écoule en deuxième main. Il dit que, par rapport à l'année dernière, la production de cerises a diminué considérablement. «Et la situation va certainement empirer l'année prochaine.» Il rappelle qu'il y a dix ans, la cerise était cédée entre 80 et 100 DA. A l'époque, les gens achetaient et il y avait plusieurs choix. Il y avait les bigarreaux, les griottes, alaghlough et la dure. Certains exposants offraient même de petites quantités de cerises aux visiteurs. «Cette générosité n'existe plus», regrette Abdelkader Rafa. Ce dernier est contraint de faire face à la déception des citoyens une fois le prix énoncé. «Il n' y a que les riches qui peuvent se permettre d'acheter plus d'un kilogramme», dit-il, l'air dépité. Il a beau répéter aux visiteurs qu'il s'agit de la bonne qualité, le prix est plus que jamais rebutant. Notre interlocuteur ne dissimule pas que si cela continue, la cerise va disparaître des vergers de Kabylie dans cinq ans environ. Ce fruit, rappelle-t-on, est très présent dans les régions de Laarbaâ Nath Irathen, Beni Douala, Aïn El Hammam, Aït Yenni et Ouaguenoun.