Ils ne peuvent oeuvrer que main dans la main pour un meilleur avenir. L'Expression: Qui est Flora Awchems? Flora Awchems: De mon vrai nom Fatma Mouheb. Dès ma tendre enfance, j'ai dû faire face à tous les paradoxes. Neuf ans plus tard, en 1975, mon père, émigré, a décidé de nous emmener, ma mère et moi en France, où, j'ai poursuivi mes études. A l'école, j'ai découvert cette fibre artistique à composer des poésies, à écrire des pièces de théâtre et à interpréter Jean Racine et Molière. En 1987, je me suis inscrite à l'Ecole des arts dramatiques de Marseille. Au sein d'une association culturelle africaine, j'ai fait valoir mon talent dans le chant et la danse. De mes contacts avec les membres de ladite association, j'ai appris certains dialectes africains, notamment réunionnais et comoriens. En 1990, j'ai regagné le pays pour me lancer dans le combat démocratique et le mouvement féminin. Parallèlement à mon activité de militante, je me suis initiée aux recherches sur les chants et la littérature algériens, pour immortaliser les rituels et les traditions kabyles pour notamment avec des recueils de poésies et de chants ainsi que des reportages photos. Pourquoi cette attribution? C'est l'origine plurielle d'une femme, à travers les empreintes douloureuses de son patrimoine, l'appartenance, la cicatrice, l'awchem, par excellence... Flora, c'est en référence à la fleur, à l'appartenance méditerranéenne, à la mythologie grecque, la déesse Chloris. Pour les romains, elle devient Flora, déesse des fleurs, des jardins et du printemps. On la fête encore en Italie ou ailleurs à travers les «floralies», chez nous on a «amenzu nar via-â» même si ça n'a rien à voir, on fête le printemps! On dit que Zéphyr, le dieu du Vent s'était épris d'elle, leur union donna le fruit...Grâce donc à cette union, Flora gagnera le pouvoir de pérenniser l'espèce... Elle est représentée nue sortant d'un coquillage par Botticelli «La naissance de Vénus» portée par les vagues, avec une femme qui semble accourir pour la couvrir d'une étoffe à sa gauche et un couple ailés, qui souffle sur sa droite...J'avais réalisé le tableau et cette image m'avait marquée... Elle me sied comme un gant! Sinon je revendique tout autant mon Fatma Flora, qui est le nom de ma mamie paternelle. Qu'est-ce que le chant vous apporte? C'est une énergie qui part du coeur pour remonter à l'esprit, pour plonger au fond des entrailles, attirée par le magnétisme de la terre, chair-mère pour enfin revenir sortir par la bouche en un feu d'artifice qui illumine le visage de l'autre. L'autre, celui qui, ravivé par notre lumière, nous renvoie l'éclat du feu tel un miroir, c'est vraiment quelque chose de magique pour celui qui sait s'ouvrir aux autres. Expliquez-vous... Dans notre société traditionnelle kabyle, la femme n'a ni droit à la parole ni droit à l'héritage. Ce qui lui revient, ce sont les mots (et les maux aussi!) de la transmission du patrimoine du clan...Elle n'est là que pour servir les siens, pour être exploitée, sans le clan, elle n'a aucune existence. Ce qui est au demeurant très paradoxal puisqu'elle est le socle de sa société justement. Aujourd'hui, les données mondiales sont autres, la femme kabyle évolue aussi dans un village planétaire. Au-delà de l'appartenance ethnique, il y a l'engagement citoyen, il y a le combat pour les libertés qui ne saurait se faire sans que la femme ne soit impliquée. Je vois l'homme comme une cellule dont le noyau serait cette femme, le ying et le yang de tout socle de vie, de toute société. Ils ne peuvent oeuvrer que main dans la main pour un meilleur avenir. Quand ils doivent se préoccuper de leur environnement, créer et imaginer le monde de demain. Une chose qui sera de moins en moins facile pour les générations à venir car elles seront inexorablement porteuses du défi de la survie même de l‘humanité à long terme. Que pensez-vous du combat des femmes en Algérie justement pour vous qui avez activé au sein de diverses associations? Je ne pense pas qu'il y ait eu vraiment un combat de la part des femmes en Algérie. Certes, nous avons eu de bons professeurs qui nous ont insufflé le goût de la lutte...Mais les Algériens ont appris à développer l'expertise de la contestation...On est toujours contre tout et rien, mais sans savoir pourquoi ni comment...Non, il y a eu des problèmes (si on peut qualifier les drames de cette manière) et pour parer à ces problèmes, il fallait l'adhésion de tous et de toutes...Les femmes ont toujours répondu présent quand les intérêts de la société étaient menacés, la stabilité du pays avec...Après cela, je crois que la femme n'attend rien d'elle-même pour pouvoir revendiquer quelque chose du pouvoir des mâles! Disons qu'on s'est trompé de stratégie, mais on ne regrette rien, il fallait se faire une expérience, sauver la patrie...On a eu comme modèle les sacrifices de nos aïeules....Bon, maintenant, les hommes doivent s'en souvenir pour préserver notre dignité et notre droit au respect. C'est tout ce que l'on peut attendre d'eux...L'égalité, c'est un grand mot... Est-ce, quelque part, un aveu de démission? Oui! La société civile à tendance à se scléroser parce que les problèmes de la vie sont de plus en plus nombreux. Les objectifs des attentes ne sont pas définis dès le départ. Les gens ont tendance à attendre plus qu'ils n'en donnent. Ils se complaisent à vivre dans l'irréel, soumis à un battage d'images et de technologie qui cisèle l'art du mensonge...Les jeunes perdent les repères, les valeurs du travail, de l'effort continu pour le meilleur résultat, l'héritage n'est plus enseigné. C'est la démission à tous les niveaux, à tous les échelons, assainir demandera une éternité! Alors, il faut parer au plus pressé, former, orienter, accompagner la jeunesse, qui prendra les rênes de demain. Nous sommes tous concernés, nous n'avons pas le droit de renoncer à notre mission après qu'on ait été investis de tant d'espérances par les anciens. Là, la femme a un rôle primordial... Un dernier mot. Le chant est comme un ruisselet qui court entre les galets et continue sa route...Il est l'empreinte de notre chair, les tatouages hérités du clan, ses propres meurtrissures, portées en cicatrices indélébiles...Ouvrir la bouche, c'est parvenir à laisser entrer des rais de lumière dans son coeur, c'est espérer, puiser un oxygène nouveau, vivre tout simplement...C'est ce que permet le chant, la croyance au genre humain...Alors on lutte pour rester debout à taguer les murs à la recherche de la lumière de l'espoir, Peut-être qu'un jour quelqu'un pourra ouvrir cette foutue porte de l'extérieur pour découvrir et exhumer nos squelettes, après avoir entendu en écho l'appel de la voix... Les vieux de demain, ces jeunes d'aujourd'hui pourront alors continuer à écrire notre histoire à partir de nos ossements, en la scellant à la leur. «Nous ne sommes pas simplement témoins des générations passées mais aussi de celles des générations à venir». Marie-Louise Taos Amrouche.