Larbaâ paye le prix fort à la sauvagerie du terrorisme. La bombe qui a explosé à Larbaâ, avant-hier, faisant 40 morts et 82 blessés, est «une déclaration de guerre», estiment les quelques repentis avec lesquels nous avons pu discuter, hier. En fait, et bien que les choses aient beaucoup évolué depuis l'autodissolution de l'AIS, le 13 janvier 2000, ici, à Tabrent, Djibolo et El-Qaria, les trois quartiers où grouillent les repentis de Larbaâ, les tenues afghanes, le comportement «détaché» de la société dans laquelle ils vivent et leurs «cercles fermés» donnent l'impression que le temps s'est arrêté pour les hommes de El-Hadj Mustapha Kertali, qui se sentent piégés entre une trêve qui les a laissés désabusés, blasés et sans perspectives, et une (ré) insertion sociale qui ne s'est jamais faite. La spécificité de Larbaâ est qu'elle n'a jamais été acquise au GIA, bien qu'elle ait été rattachée aux groupes armés dès la fin 1999. Au contraire de Bougara, de Meftah et des Eucalyptus, Larbaâ a pu garder une certaine autonomie, grâce à Kertali et Mihoubi Brahim. Cette autonomie a laissé, à ce jour, des effets vérifiables. La création de la MIPD de Mustapha Kertali et sa dissidence avec le GIA, puis son rattachement aux contacts de la trêve menée par l'AIS ont fini par faire de Larbaâ, aux yeux des GIA, une région apostat et ses repentis des hérétiques qui ont trahi la cause de la djamaâ. Si on prend en ligne de compte les attentats qui se sont produits à Larbaâ depuis la fin de l'année 2001, l'on découvre toutes les attitudes belliqueuses du GIA à l'égard des repentis et toutes les tentatives entreprises en ce sens pour mener les «ex-moudjahidine», à reprendre le maquis ou pour attenter à leur vie, c'est le cas de l'explosion d'avant-hier. Durant la première semaine du ramadan 2001, quatre personnes ont été assassinées à la sortie ouest de la ville de Larbaâ, menant vers Bougara. Peu de temps après, une bombe est désactivée de justesse dans la mosquée El-Falah, où avait l'habitude de se rendre Kertali. Depuis le début de l'année, plusieurs autres attentats furent commis à la périphérie de la ville, notamment dans les contreforts de Souhane, Tablat et les hauteurs de Djibolo. Quatre personnes ont été égorgées en plein jour et deux autres, les parents d'un garde communal, ont été tuées par balle, récemment. Des événements sont venus casser le peu de «stabilité guerrière» dans la ville de Larbaâ. D'un côté, il y a quelques jours, les autorités, conscientes du danger que représente un «repenti sans perspectives», commencent à convoquer les hommes de Kertali pour les écouter et répondre à leurs soucis. Ce nouveau pas, il fallait le casser afin de maintenir les tensions de l'AIS en l'état. En outre, les chefs de l'AIS ont dévoilé récemment qu'il n'y avait aucun accord écrit avec l'armée (confirmé par le général de corps d'armée, Mohamed Lamari), et de fait la «paix des braves» dans l'esprit des repentis a pris les contours d'une «reddition humiliante». Il y a, donc, à penser que certains repentis aient pu reprendre leurs armes. Le marché de «Taâna», lieu de l'attentat, est un endroit où se retrouve pratiquement la quasi-totalité des repentis de l'AIS, version Kertali. Une bombe placée à cet endroit précis vise tout le monde certes, mais est destinée aussi à les chercher et à les provoquer. «On se retrouve ici, désarmé et sans issue comme de vieilles mamans qui attendent la mort. Les GIA sont très présents ici, à partir d'Ouled Slama et Rovigo. Si on ne les combat pas, ils reviendront», rassure un repenti vendeur de montres, qui, par chance, n'était pas allé au marché le jour de l'attentat. Un autre déclare: «Je les connais, un à un, les tueurs du GIA qui sont capables d'un tel acte contre nous. Ils ne nous pardonnent pas d'avoir choisi de déposer les armes.» Et si c'était un des leurs qui avait déposé la bombe? La question est posée à un repenti qui habite Tabrent et qui a perdu deux de ses amis dans l'attentat. «Non, je ne le pense pas. Nous formons un groupe soudé derrière Kertali...Mais, que quelqu'un ait pu être aussi vil pour tuer ses frères, peut-être...En tous les cas, il existe réellement des repentis qui ont pensé à reprendre les armes. L'Etat nous a enfermés dans ces enclos comme du bétail. Aucun de nos problèmes n'a été résolu.»