C'est en adoptant le Code des investissements de 2001 puis les amendements de 2006 que le législateur aurait dû s'aviser qu'il faisait de l'Algérie un paradis fiscal pour toutes les catégories d'investissements. Il n'est pas question ici de revenir sur les mesures adoptées en 2008 puis 2009 par les autorités algériennes (LF complémentaire pour 2008, LF pour 2009, autres mesures réglementaires publiées au JO en mai 2009). D'une façon générale, il s'agit de décisions qui limitent le transfert des capitaux et des dividendes par les étrangers au titre des investissements réalisés en Algérie. Le gouvernement a prêté une oreille attentive aux nombreux experts algériens qui le mettaient en garde contre l'érosion graduelle de nos réserves de change, du fait que les sorties de capitaux étaient supérieures au montant des IDE. Mais il s'est produit comme un malentendu que le gouvernement aurait gagné à dissiper préventivement: les autorités algériennes, résolues à lutter contre la fraude fiscale, le marché parallèle, les infractions à la réglementation des changes, au droit des sociétés, au droit de la sécurité sociale et elles ont donc dû prendre des mesures sévères qui ont été ressenties comme injustes par les sociétés étrangères (notamment françaises) qui tiennent une comptabilité transparente et se conforment strictement à la loi. Mais comme d'autre part, le gouvernement entend favoriser les investissements étrangers, il doit impérativement doter notre pays des facteurs d'attractivité qui incitent réellement les entreprises étrangères à créer des investissements productifs et à envisager des partenariats avec des entreprises locales. Il faut reconnaître que le gouvernement algérien a mis beaucoup de temps à prendre conscience que le Code des investissements de 2001 modifié et complété n'était pas adapté aux besoins en développement de l'Algérie, mais qu'il était conçu pour les pays en quête d'investissements de portefeuille exclusivement. Dans les lignes qui suivent, nous essaierons de montrer qu'il est urgentissime pour l'Algérie d'améliorer l'attractivité de notre pays pour les investisseurs et que c'est dans cet effort important que réside le vrai patriotisme économique. La situation économique et financière actuelle de l'Algérie Elle n'est pas très satisfaisante, compte tenu de la trop forte dépendance de l'économie algérienne à l'égard des cours pétroliers dont on peut présumer qu'ils ne dépasseront pas les 75 dollars le baril d'ici la fin 2009. C'est quelque 150 milliards de dollars qui seront injectés dans l'économie algérienne entre 2009 et 2014 pour la mise en oeuvre du programme quinquennal. Si les perspectives de croissance sont incertaines, en revanche, il est peu probable que l'inflation soit contenue au-dessous des 7%, d'autant que le montant des importations risque de dépasser les 30 milliards de dollars et que ce sont elles qui alimentent la dérive des prix à la consommation, surtout si la Banque d'Algérie fait encore glisser le DA. Le déficit budgétaire sera également important puisqu'il atteindra les 2400 milliards de DA, soit l'équivalent de 22% du PIB. Ce déficit sera financé par les ressources du Fonds de régulation des recettes dont le montant est désormais inférieur à 48 milliards de dollars. A ce risque vient se greffer l'accroissement des dépenses de fonctionnement qui seront nettement supérieures aux dépenses d'équipement, les premières progressant de 10% et les secondes de seulement 3%. On peut se réjouir, à bien des égards, de l'augmentation des dépenses de transfert car il est impératif de protéger le pouvoir d'achat des catégories les plus défavorisées de notre population (soutien des prix des produits de première nécessité, soutien des prix de l'énergie) et de venir en aide aux catégories modestes qui sont dans l'impossibilité de financer l'accession au logement. Ces dépenses ont été de 1000 milliards de DA en 2008, soit 15 milliards de dollars qui représentent 13, 5% du PIB. Mais jusqu'à quand l'Algérie financera-t-telle des transferts sociaux qui sont appelés à augmenter de façon récurrente à partir des ressources de la fiscalité pétrolière, surtout si celles-ci demeurent erratiques et leur évolution imprévisible? Par ailleurs, il faut s'attendre, lorsque l'ensemble des équipements et infrastructures lourdes prévues dans le Pcsc (2005-2009) et celles prévues dans le plan quinquennal(2009-2014) seront achevées, à ce que les charges financières au titre des subventions d'exploitation, des bonifications d'intérêt, des prêts et avances, des apports en capital (destinés à améliorer la structure de bilan de quelques grandes entreprises publiques), des différentes garanties accordées, des aides budgétaires (notamment des aides fiscales sous forme d'exemptions, d'abattements, de crédit d'impôts, etc.) viennent s'imputer sur le budget de l'Etat. A terme, il serait illusoire de penser que l'augmentation régulière des dépenses publiques puisse être durablement financée par la fiscalité pétrolière. Et aucun gouvernement ne pourra faire l'économie d'une réflexion sur l'impact des différentes niches fiscales dont bénéficient certains groupes sociaux, depuis trop longtemps, alors que le rendement de la fiscalité ordinaire n'arrive pas à augmenter. Renforcer l'attractivité de l'économie algérienne: un impératif absolu Le patriotisme économique ne s'épuise pas dans des mesures volontaristes de caractère juridique, surtout lorsque celles-ci viennent malmener le principe de non-rétroactivité des lois. Certes, tout Etat souverain a le droit d'adopter des lois expressément rétroactives. Mais le domaine des investissements est celui qui se prête le plus mal à ce type de politique, d'autant plus, du reste, que notre pays a ratifié de nombreuses conventions multilatérales et bilatérales dans lesquelles il s'engage à protéger les investissements réalisés sur son territoire. Il est temps que l'Algérie se réconcilie avec le principe de la sécurité juridique et la stabilité de la règle de droit. S'il n'y avait nulle malveillance dans les décisions prises au cours de l'été 2008 et durant l'année 2009, il y a eu, à tout le moins, au départ, une très insuffisante maturation des textes. C'est en adoptant le Code des investissements de 2001 puis les amendements de 2006 que le législateur aurait dû s'aviser qu'il faisait de l'Algérie un paradis fiscal pour toutes les catégories d'investissements alors que nous étions censés favoriser l'investissement productif. Nous nous sommes contentés de mimer les législations pour lesquelles l'acte d'investissement est autant un acte de commerce qu'une opération générant de la valeur ajoutée. Le mimétisme juridique qui est la marque de toute l'oeuvre législative et réglementaire algérienne depuis l'Indépendance, s'est considérablement accentué, au cours de ces dernières années, à telle enseigne qu'il est permis de se demander dans quel univers évoluent les artisans de nos lois. Il s'y ajoute le fait insolite, qui est certainement le facteur le plus déstabilisant pour l'investisseur (algérien ou étranger), à savoir qu'un même texte est rarement d'interprétation univoque et que chaque administration soucieuse de préserver son précarré l'interprète à sa convenance. Cette situation délétère qui symbolise la pluralité des centres de décision économique n'est pas de nature à inciter les investisseurs à s'implanter durablement en Algérie. Le patriotisme économique ne consiste donc pas à adopter des mesures, dictées par l'intérêt national (ce qui reste toujours à vérifier), mais qui viennent à contre-emploi et accréditent l'idée que l'Algérie est un pays instable. Le patriotisme économique est, au contraire, celui qui vise au renforcement de l'attractivité de notre territoire pour les investisseurs étrangers, sauf si l'Algérie a décidé de se développer toute seule, auquel cas elle doit le dire clairement. Sinon, notre pays a encore beaucoup de progrès à accomplir pour se mettre au niveau des pays comparables comme la Tunisie, le Maroc, l'Egypte et plus encore la Turquie. S'agissant de l'industrie, nous avons déjà dit dans ses colonnes, que notre pays ne disposait plus d'avantages comparatifs dans le pourtour méditerranéen. Ou alors il faudrait élaborer une stratégie industrielle complètement inédite sur 30 ans, y injecter quelque 500 à 600 milliards de dollars et en même temps révolutionner le système éducatif, la recherche/développement, le secteur bancaire. Pur fantasme. On a laissé le secteur industriel tomber en déshérence et on donne à entendre aujourd'hui qu'une politique de privatisation, mieux ciblée, ou des opérations de recapitalisation d'anciens fleurons vont contribuer à densifier le tissu industriel algérien. C'est se payer de mots et circonvenir ce qui reste encore d'Algériens crédules. En revanche, aucun observateur étranger ne comprend que l'extrême proximité de l'Algérie de l'UE n'ait pas contribué à faire de notre pays une plate-forme en expansion sur le marché euro-méditerranéen et arabe de l'outsourcing (c'est-à-dire de l'externalisation) dans le domaine des services. Notre pays continue d'accumuler des retards importants dans les Ntic (la stratégie gouvernementale IT impliquant le e-commerce est encore dans les limbes). Pourtant, les budgets consacrés à la formation, au recyclage et au perfectionnement des ressources humaines ont explosé au cours des dernières années. Renforcer l'attractivité du territoire algérien pour les investisseurs, c'est aussi réhabiliter toutes les infrastructures, améliorer leur qualité (souvent médiocre), faciliter leur accessibilité (également médiocre) et engager un sérieux effort dans la formation professionnelle des jeunes, à l'exemple du Maroc et de la Tunisie, ce qui passe obligatoirement par une refonte totale du système universitaire inapte, depuis 30 ans, à préparer les étudiants au marché du travail. L'importance croissante du rôle de l'Etat L'environnement des affaires doit être, quant à lui, sécurisant sur le moyen terme. Ceci a de très importantes implications sur le comportement subjectif de l'investisseur étranger. Celui-ci sera peu porté à engager des efforts substantiels que le nouveau cadre juridique requiert de lui désormais, s'il constate que le marché informel s'accroît, que la fraude fiscale des entreprises immatriculées au registre du commerce est importante et que la corruption est omniprésente. On verra si les mesures prises par le gouvernement sont efficaces. Les perspectives macroéconomiques doivent être bonnes (ce qui suppose que l'Etat ne laisse pas filer les déficits publics, sauf à ne pouvoir accorder demain aucun avantage aux investissements utiles au développement national), la protection des investissements assurée par des textes intangibles dans leur esprit (ce qui n'exclut évidemment pas des adaptations, pour autant que celles-ci ne portent pas atteinte aux prévisions de l'investisseur), les politiques sectorielles mises en cohérence pour que l'investisseur soit convaincu d'avoir affaire à une seule administration, représentant l'Etat algérien, l'accès au financement bancaire normalisé, une réglementation des changes très souple pour les investissements créateurs d'emplois et de richesses, au regard des besoins de l'Algérie, tels que reflétés notamment par la loi de juillet 2003 sur la protection de l'environnement dans le cadre du développement durable dont plus personne ne se réfère désormais, alors qu'elle constitue la charte de notre développement futur. Il conviendra également que la puissance publique veille à ce que les conditions suivantes soient réunies, d'ici 2014: communication transparente et fiable, justice indépendante et non vénale, bureaucratie rationnelle et cohérente (même si cela doit se payer de contrôles a priori qui sont nécessairement un peu longs mais qui protègent les vrais investisseurs), réseaux de prestataires de services dynamiques et innovants, liberté d'accès à tous les marchés, autorités de régulation complètement dégagées de la tutelle des administrations centrales, véritable indépendance de la Banque d'Algérie, etc. Mais le préalable est que la vision de l'Algérie soit d'abord comprise des investisseurs et des Etats dont ils ressortissent, de sorte que les entreprises étrangères y adhèrent et adaptent leur stratégie en conséquence. (*) Professeur à l'Université d'Alger