«Le cinéma africain a besoin d'un véritable engagement politique», a souligné l'auteur du film Bamako, Abderahmane Sissako. Le colloque devant réfléchir sur les modèles d'avenir à suivre pour les cinémas d'Afrique s'est poursuivi hier matin à l'hôtel El Aurassi avec toujours la même constante, à savoir que la majeure partie des cinéastes ayant pris la parole se sont plus plaints que de suggérer des propositions comme nous l'a si bien confié le réalisateur tunisien Nouri Bouzid, arguant que le nombre des râleurs a augmenté. En tous les cas, les problèmes évoqués restent les mêmes et pas trop de perspectives finalement. Toutefois, ce colloque a permis de mettre cartes sur table les préoccupations et doléances des réalisateurs africains afin de réunir un ensemble de résolutions à la fin du colloque qui constitue, pour rappel, le tremplin des assises cinématographiques que l'Algérie - qui décidément a encore pris de court tout le monde en négociant son retour en force sur la scène culturelle - compte organiser en 2010. Notons qu'un retard a été enregistré au niveau de ce colloque puisqu'hier matin encore on n'était qu'au premier stade ou panel des thèmes à traiter, à savoir «l'état des lieux de la production africaine». Parmi les intervenants de la matinée, on citera le producteur tunisien Nedjib Ayed qui insistera sur l'ouverture du marché international «car, dit-il, le marché national se rétrécit comme une peau de chagrin. La télé est sensée être le plus gros producteur, or chez nous elle est chiche, avare. L'Etat s'est désengagé, à l'exception de certains pays du Maghreb, l'Afrique du Sud et le Burkina Faso, où la politique de l'Etat est en conformité avec le précepte selon lequel le cinéma est important dans nos sociétés. Il est impensable aujourd'hui de considérer le cinéma comme un art à part entière. Il ne faut plus faire la distinction ou la dichotomie entre cinéma et télé. Il faut adapter la même stratégie. Nous sommes aussi condamnés à faire appel à la coproduction et rentrer dans la logique du travail commun. Alger a fait un pas. Il reste à le préserver et lui donner un cadre plus clair. Il y a 600 chaînes arabes satellitaires dans le monde dont la moitié est spécialisée dans les films de fiction et principalement égyptiens. Il faut les utiliser. Il faut convaincre aussi nos gouvernements à défendre nos marchés nationaux. On est depuis 3 mois en conclave pour sortir avec des mesures concrètes d'ici la mi-août.» M.Ayef propose comme solution à la crise du cinéma africain entre autres l'institution de taxes sur la téléphonie mobile et les pirateurs de films. De son côté Johnosn Traoré réalisateur et directeur de publication des Cahiers d'Afrique incitera les cinéastes à davantage de responsabilités, d'aller en outre chercher des financements ailleurs qu'au Nord, notamment en Algérie. Mais aussi en s'associant avec les chaînes télé privées et délaisser pour une fois les chaînes étatiques. «Il faut les mutualiser. Il faut aller vers le cinéma économique, car on ne part pas du même pied d'égalité, que ce soit l'Algérie, l'Afrique du Sud ou le Nigeria notamment. Il faut associer les chaînes privées même si elles sont pauvres car n'oublions pas qu'elles sont tournées vers la diaspora. Nous faisons du cinéma aveugle. Si les salles ont disparu, il faut trouver la parade en tentant de trouver des surfaces exploitables dans des bâtiments ou centres commerciaux pour y placer des salles. Qu'on se parle au niveau régional, après on pensera à l'unification de l'Afrique.» Abordant le problème de la production en Algérie et de sa naissance Bouelam Issaoui de l'association (AVA) fera remarquer que ce métier s'est imposé anarchiquement suite au désengagement de l'aide de l'Etat. Le réalisateur devant ce handicap se constituera ainsi en producteur, face à un marché national unique, la télé. «Si l'Etat aide aujourd'hui de façon épisodique, il reste toujours difficile de pouvoir faire son montage financier car beaucoup de réalisateurs n'étaient pas préparés à cela. Je profite de cette tribune pour proposer de se constituer en association de producteurs africains car c'est en tant qu'entité que cela puisse influer sur les pouvoirs publics. Qu'il y ait un nouveau Nepad sur le plan culturel.» La célèbre réalisatrice du Silence des palais Moufida Tlatli invitée à prendre la parole ne manquera pas de souligner la nécessité de concilier la liberté d'expression avec la télé, qui selon elle n'a pas tué le cinéma. «Il faut qu'on parle de chose à travers laquelle la société puisse se reconnaître. On résiste mais il faut trouver les moyens efficaces pour se battre encore plus. Je rends aussi hommage à Gaston Kaboré et Nouri Bouzid pour leur travail dans l'enseignement du cinéma auprès des jeunes.». Abondant dans le même sens, Nadia Cherabi, auteur de L'en-vers du miroir, dira qu'on fait des films pour nous et pas pour gagner de l'argent. «C'est une question d'éthique. Ce qui m'a amenée au cinéma c'est l'envie de montrer et de raconter quelque chose.» Sans passer par quatre chemins, Mina Chouikh insistera sur l'importance de la volonté politique. «Toutes les doléances ne serviront à rien s'il n y a pas cette volonté politique, sinon on finira par devenir tous des griots en se racontant des légendes...» ironise-t-elle. le célèbre comédien Dany Glover dira quant à lui, être d'abord un travailleur pour la culture et se félicitera que cette envie de réaffirmation de l'identité africaine arrive en Algérie tout en exhortant les présents à réunir leurs efforts. Le Malien Abderahmane Sissako, connu pour son film Bamako auquel a pris part Dany Glover, dira avec un soupçon d'amertume dans la voix être heureux de se retrouver au milieu de cette famille du 7e art dans le cadre d'une manifestation qui jette encore un nouvel espoir: «Le cinéma africain a besoin d'un véritable engagement politique pour sauvegarder aussi sa mémoire et connaître ce qu'il a laissé...» Le réalisateur relèvera sa solitude tout en soulignant l'importance de faire un travail collectif et la création de partenariats qui doivent se développer sur le continent. «C'est là où la solidarité doit jouer. Il faut que nous ayons une vision très ouverte sur les autres.»