Ces occasions de dépenses faramineuses font trembler les pères de famille, déjà sérieusement malmenés par la cherté de la vie. Il n'y a pas un lieu plus indiqué que le marché, pour prendre le pouls de l'opinion des citoyens. Au marché Ali-Mellah de Sidi M'hamed, c'est l'ébullition. «On ne peut plus faire face aux dépenses», se plaint un père de famille qui se tient devant l'étal d'un marchand de légumes, les yeux rivés sur les étiquettes indiquant les prix. Ce chef de famille a raison d'exprimer sa peine à joindre les deux bouts car faire le marché n'est pas la seule dépense à laquelle il doit faire face. Mais il se trouve que les dépenses en alimentation grèvent déjà 44% du budget des citoyens, selon des sources officielles dont l'Office national des statistiques (ONS). En effet, les prix des fruits et légumes ainsi que ceux des viandes ont repris ces derniers jours leur tendance à la hausse et ce sont les plus pauvres qui paient encore une fois la facture. Cette augmentation concerne quasiment toutes les wilayas du pays. Qu'il s'agisse de Aïn Defla, d'Oran, d'Alger ou de Guelma, aucune région n'échappe à ce phénomène qui ressurgit après qu'une pareille tendance a déjà été observée depuis quelques mois. Les produits touchés s'étalent de la pomme de terre aux carottes en passant par la tomate et l'oignon. Selon les régions, les prix de ces produits varient entre 25 et 120 dinars. Depuis quelques semaines, le prix de la pomme de terre a atteint un record de 100 dinars, ce qui a fait réagir le Premier ministre Ahmed Ouyahia, lors de l'une de ses interventions au Conseil de la nation. Le poisson, les viandes blanches et rouges sont, eux aussi, échangés à des prix très élevés. Et nul ne sait quand cette tendance sera inversée. Le gouvernement a bien tenté de prévenir cette spirale, mais ces intentions sont encore loin d'avoir eu un effet quelconque sur les marchés. Devant cette situation, les citoyens seront obligés d'augmenter leurs dépenses destinées à l'alimentation au détriment des autres postes de dépenses, ou de réduire leurs rations alimentaires, ce qui n'est pas sans conséquences sur leur santé et celle des membres de leurs familles. Déjà, en l'état actuel des choses, la situation n'est pas reluisante. Même si ce n'est pas encore la famine, des pans entiers de la population, plus de 10% des 34 millions d'habitants, sont pauvres selon des critères internationaux. Ce seuil de pauvreté est constaté lorsque les dépenses quotidiennes sont de moins d'un dollar, soit 65 dinars par jour et par personne. Selon Amokrane Fawzi, expert auprès du Commissariat à la planification et à la prospective, l'Algérie veut adopter un autre critère de l'OMS qui est celui de la consommation d'une ration alimentaire de 2100 Calories par jour. L'équivalence financière en dinars pour constituer un panier répondant à ce critère est considérée comme un secret d'Etat et aucune instance n'a voulu nous la communiquer. Selon certaines sources, la conjoncture n'est pas du tout propice pour parler de pauvreté et le chiffre concernant le montant qui permet une alimentation décente ne peut être dévoilé dans ces circonstances. Cela confirme ce qu'on savait déjà, à savoir que l'Algérien est pauvre. Pour les travailleurs, ce ne sont pas l'augmentation des salaires et les revalorisations des primes et indemnités qui vont éloigner ce spectre. Quelques catégories d'employés se plaignent du fait que leurs bourses ne suffisent pas à remplir le couffin pour répondre aux besoins de la famille. D'autres sont tout simplement privés de revenus. Ceux-là ont certes des difficultés pour se nourrir et ils doivent aussi faire l'impasse sur d'autres dépenses. Il n'est pas facile de trouver de l'argent pour faire face à d'autres dépenses. Il y a des factures sur lesquelles nul ne peut faire l'impasse. Le loyer doit être honoré. L'électricité, l'eau et le gaz doivent aussi être payés. Une fois que tous ces frais sont déduits du budget que restera-t-il pour satisfaire les exigences des enfants qui voudraient partir à la plage? D'où ramener les sommes nécessaires pour faire des cadeaux à des proches ou à des amis qui vous invitent à des fêtes? Où trouver les sommes exigées pour payer les billets de transport? Et si, ma foi, un chef de foyer s'en sort avec plus ou moins de succès pour parer à ces dépenses, il sera vite rattrapé par d'autres impératifs. Lors du Ramadhan, les prix atteignent des sommets et la consommation ne baisse pas, au contraire. Suit juste après, la Fête de l'Aïd lors de laquelle il faut compter 6000 dinars pour habiller presque correctement un enfant. Pense-t-on qu'on peut s'en sortir une fois que toutes ces commissions sont effectuées? Certainement pas. Il faut trouver de l'argent pour acheter les fournitures scolaires pour la rentrée. Un livre n'est pas cédé à moins de 100 dinars. Lorsqu'il faut approximativement six livres pour chaque niveau de l'école, on se rend vite compte que la facture peut gonfler aisément. Si plusieurs enfants sont scolarisés en même temps, la dépense atteint vite des proportions plus qu'inadmissibles. Devant de tels constats, nombreux sont ceux intéressés de connaître le niveau de vie des citoyens, à commencer par l'ONS. Le directeur des statistiques sociales auprès de cette institution, Youcef Baâzizi, nous a indiqué qu'une enquête sur le niveau de vie sera menée en 2010. Ses résultas seront connus en 2011. L'enquête portera sur un échantillon de 14.000 ménages. Un travail similaire a déjà été effectué en 2000, mais dix années après, le besoin se fait ressentir de se pencher à nouveau sur ce dossier. Avant même que ce travail ne soit effectué, il est aisé de constater qu'il n'y a pas que les produits alimentaires dont les prix augmentent sans cesse faisant en sorte que les pauvres se trouvent confrontés à des difficultés croissantes de boucler leur fin de mois. Il n'y a que deux produits qui échappent à la hausse des prix, l'habillement et des chaussures dont les prix n'ont pas évolué. Il est constaté également que les loyers n'ont pas explosé en 2008 comparativement à l'année d'avant. Pour tout le reste, c'est le constat opposé qui prévaut. Quelquefois, le citoyen subit aussi la hausse de services qui sont essentiels à sa survie comme ceux liés à la santé. Actuellement, les malades ne sont plus dans la capacité d'acheter la totalité des médicaments prescrits par le médecin. On constate que certains sacrifient le nombre de boîtes de médicaments alors que d'autres établissent une hiérarchie entre des médicaments pour faire l'impasse sur certains d'entre eux. Si vous voulez vous rendre à des spectacles ou profiter de quelque loisir, là vous risquez d'être carrément dépouillés. Ce sont des postes de dépenses qui augmentent fortement. Jusqu'à près du quart. Si des couples veulent s'équiper en ameublement ou si des familles veulent renouveler leur équipement, les prix sont également élevés. Des solutions pour contourner ces contraintes liées au prix ne sont pas légion. Soit les citoyens se rabattent sur des produits et des articles de mauvaise qualité, ce qui n'est pas sans risque, soit recourent à des prêts pour financer leurs achats sans oublier de payer les échéances avec intérêts. Pourtant, ces solutions ne sont même plus envisageables pour certaines familles. Sans aller jusqu'à mendier ou à fouiller les poubelles pour trouver de quoi se nourrir, certains chefs de famille choisissent de faire appel à l'entraide familiale. Si cette voie ne leur est pas accessible, il reste toujours le prêt sur gage pour ceux qui ont encore quelques bijoux ou autres objets de valeur à remettre à la banque contre quelques dinars.