Ils étaient des milliers à s'être déplacés dimanche soir à l'Esplanade de Riad El Feth pour admirer de plus près leur King du raï: Khaled Hadj Brahim. Les artères de Riad El Feth étaient bondées. Des voitures s'entassaient à 500 mètres à la ronde. Dès 21h, les gens commençaient à affluer et remplir à vue d'oeil doucement mais sûrement les allées de la route. Familles et jeunes ont compris l'astuce: se munir des petites chaises pliantes pour pouvoir patienter pendant les heures interminables avant l'entame du concert. A 23h, c'est la cohue générale. Riad El Feth se transforme en fourmilière humaine. C'est la tension dans l'air. Une troupe de danse africaine assure la première partie du spectacle, mais le public impatient n'en démord pas et crie à tue-tête: «Khaled! Khaked! Khaled!». En bas de la scène et tout au tour des policiers excédés, nerveux, les journalistes sont un peu bousculés car il y a trop de monde à gérer ce soir. Tout le monde veut passer. Que se passe-t-il? Laissant derrière nous le concert de Karim Ziad à moitié pour voir Khaled, nous sommes d'emblée déboussolés. Arrivés sur les lieux, c'est la débandade générale. Le directeur de Riad El Feth, M.Fellahi, tente de s'expliquer avec les agents de sécurité et les policiers. Nous arrivons à notre emplacement difficilement, en enjambant barrières et individus. Khaled arrive enfin sur scène, veste et chemise blanches sur jean délavé, le sourire aux lèvres qui provoquera, comme on l'attendait, des cris de joie. Jusqu'à 2h, Khaled tiendra en haleine son public en lui distillant un patchwork de ses plus beaux titres, des anciens aux plus récents. Khaled entame son concert avec Yamina suivi de Liberti li kouatni, extrait de son nouvel album «Liberté» et enchaînera avec un autre morceau de l'album, Sbabi Ntiya, suivi de Had El marssam. Malha dik ezrga est ré-arrangé à la sauce africaine, Panaf oblige. Khaled jette sa veste qui laisse apparaître une chemise déjà trempée de sueur. La bête de scène, le rythme dans la peau et l'allure fière, s'amuse avec sa voix. Sur un air de flamenco, puis de latino et bossa nova, il chante Rouhi ya wahrane. Bakhta fait un tabac. Le public composé en majorité de jeunes est aux anges, en totale communion avec le titre qui est superbement enjolivé par le son du violon. Khaled et ses mimiques font sourire. Puis c'est le tour de Win Elharba, laquelle est ponctuée de roulement de percussion et de «Zwiterwit», dans sa version originale d'Idir. «Rastafai rai» annonce Khaled avec sa voix rauque. Intro reggae sur Weli Darek. La suite c'est Sahra et surtout Cheba, qui déchaînera la foule, précédée d'un superbe morceau tiré du patrimoine raï et racontant les déboires d'un amoureux dont sa «Leïla» s'appelle justement Aïcha! Abdelkader ya Boualem redonnera du tonus au public après cette chanson plutôt triste. Et c'est Nsi Nsi qui est servi à un public conquis qui reprendra aussi en choeur la fameuse chanson, Didi. Morceau rehaussé par les belles volutes toniques du saxophone. Khaled au clavier, joue quelques notes au piano pour introduire Triq Lycée. Suivront deux autres morceaux du vrai cru raï avant de clore la soirée en beauté...avec Aïcha, interprétée en effervescence et euphorie par le public en transes. Fin du concert. Pas de rencontre avec la presse. Bousculade et confrontation évitées. Khaled se faufile dès sa descente de scène, entouré d'une armada de flics, direction la sortie et la voiture dare-dare, comme l'a fait - on s'en souvient- Isabelle Adjani en quittant la Coupole, grosses lunettes noires (à 1h du matin) et cheveux sur le visage pour se cacher de je-ne-sais-qui: des paparazzi peut-être? Ba! il n'en existe pas chez nous! Juste une pensée pour Karim Ziad qui s'est donné comme un diable ce soir à l'auditorium de la Radio nationale Aïssa Messaoudi, et qu'on avait laissé se produire en compagnie notamment du bassiste Michel Alibo «dialna» et d'autres talentueux musiciens, dont le grand Maâlem Hamid El Kesseri. Karim Ziad lui aussi revisitera son répertoire en passant en revue quelques extraits de ses albums Ifriquia et Maghgreb and friends dans une véritable osmose et fusion afro-gnawa-jazz! Le public, pour beaucoup d'entre nous, s'était partagé en deux pour ne pas rater ces deux géants de la musique algérienne, africaine et universelle.