L'impératif de la bonne gouvernance s'impose à tous les Etats mais il se justifie, à un degré supérieur, pour ceux d'entre eux qui ne disposent pas de ressources suffisantes. C'est un véritable discours-programme que le président Obama a prononcé le 11 juillet dernier devant le Congrès ghanéen. Il a indiqué à quelles conditions les Etats-Unis seraient disposés à poursuivre leur aide économique aux pays africains. Tout en admettant que la colonisation avait infligé un douloureux traumatisme à l'Afrique, il n'en a pas moins insisté sur le fait que les malheurs actuels du continent n'étaient pas tous imputables à l'asservissement auquel les peuples africains avaient été soumis tout au long des XIXe et XXe siècles. Pour le Président Obama, le Ghana représente un modèle d'Etat pour l'ensemble de l'Afrique (à l'opposé du Kenya ou du Zimbabwe) et constitue un laboratoire de la modernité qui est parvenu à démentir tous les poncifs encore à l'honneur dans la rhétorique tiers-mondiste: la colonisation est à l'origine de la stagnation des Etats africains, tandis que la mondialisation a achevé de déstabiliser les systèmes économiques et sociaux laborieusement mis en place au lendemain des indépendances. Du discours historique du président US, on retiendra cinq prescriptions et on se demandera si elles peuvent valoir pour les pathologies dont souffre notre pays que sa forte dépendance vis-à vis de l'extérieur risque d'aggraver dans les années qui viennent. Ces prescriptions sont: le respect du suffrage universel, la bonne gouvernance, la lutte contre la criminalité organisée, la primauté de l'économie de marché et l'utilité des regroupements régionaux. On rappellera que le président Obama a loué les dirigeants d'un pays qui ne présente a priori aucun intérêt stratégique pour les EU. En dépit des remarquables performances de l'économie ghanéenne, le pays ne recèle ni matières premières ni ressources minières (à l'exception de quelques puits de pétrole), de sorte que le discours du président US ne pouvait être interprété comme un plaidoyer complaisant à l'endroit des dirigeants ghanéens. Le respect du suffrage universel Pour le président Obama, le respect de la démocratie ne s'épuise pas dans l'adoption du constitutionnalisme libéral. Le constitutionnalisme est évidemment la condition de la citoyenneté et de la stabilité de l'Etat, au même titre que le respect des formes juridiques et celui des échéances électorales. Mais souvent ce formalisme fait la part belle à la fiction. En Algérie, après plus de 20 ans de multipartisme, aucune institution n'échappe au contrôle direct de l'Etat/parti (FLN, RND) et la volonté d'encadrement de la dynamique du changement par le haut est attestée par l'abrogation prochaine de la loi sur les partis et celle relative aux associations. Le réformisme autoritaire a souvent conduit à faire bon marché de la Constitution et il a échoué à séculariser la société, comme en témoigne la place centrale de l'Islam, non pas seulement comme phénomène religieux mais comme référent culturel et symbolique quasi intemporel. Il faut certainement souscrire aux mots d'ordre de B.Obama: «Les gouvernements qui respectent la volonté de leurs peuples, qui gouvernent par le consentement et non par la coercition sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas.» (...). Il ne s'agit pas seulement d'organiser des élections. Il faut voir ce qui se passe entre les scrutins» Le président exprimait encore plus sa pensée en déclarant que «l'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais de fortes institutions»; enfin que son aide ira aux «personnes et aux institutions responsables, en mettant l'accent sur l'appui à la bonne gouvernance». S'agissant de l'Algérie, la seule question qui vaille est celle de savoir comment pourraient s'opérer les transitions d'un régime politique marqué par une double tradition: le néopatrimonialisme et le néopatriarcat à un régime sacralisant la Constitution en la dotant de véritables vertus organisatrices et non pas seulement d'une vertu légitimatrice qui fait obstacle à l'alternance au pouvoir et paralyse le principe de la séparation des pouvoirs. C'est là un immense défi qu'aucun Etat arabe n'a pu relever, pas même la Tunisie, dont pourtant les élites dirigeantes sont restées attachées au constitutionnalisme libéral inauguré dès 1959 par H.Bourguiba. La bonne gouvernance des affaires publiques C'est un point sur lequel le président Obama a beaucoup insisté dans son discours d'Accra. L'impératif de la bonne gouvernance s'impose à tous les Etats mais il se justifie, à un degré supérieur, pour ceux d'entre eux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dont l'économie est pénalisée par la mondialisation libérale et qui souffrent de handicaps géographiques majeurs (Tchad, Centrafrique, Niger, Mali). Il est très difficile de définir d'un point de vue philosophique la bonne gouvernance, encore plus de mettre en évidence les indicateurs qui permettent de la mesurer. Depuis son arrivée au pouvoir, le président A. Bouteflika a lancé quelques réformes de l'Etat (justice, éducation). Le moment est venu d'en dresser un premier bilan, en dehors des polémiques et des surenchères. Un audit impartial doit pouvoir être ordonné pour s'assurer de l'impact produit par ces réformes. Dans son discours du 11 juillet, le président Obama a semblé adhérer à une conception très exigeante de la bonne gouvernance. Il est aujourd'hui admis que la bonne gouvernance comporte six éléments: l'obligation de rendre compte, la transparence, l'efficience et l'efficacité de l'administration et des services publics, la réceptivité aux attentes des citoyens, la nécessité de la prospective, enfin la primauté de la règle de droit. En Algérie, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Mais sans doute faut-il prendre au pied de la lettre l'engagement pris par le Premier ministre, en mai dernier, devant la représentation nationale, de s'employer à imposer la bonne gouvernance d'ici 2014. Ceci signifie d'abord que le gouvernement doit sans cesse expliquer en quoi les décisions qu'il prend sont conformes à l'intérêt général et qu'aux yeux de l'opinion publique, il respecte réellement le programme présidentiel (qui répond certainement aux besoins de notre population). Ensuite, les mesures prises par l'administration doivent se faire dans une totale transparence et exposées dans leur intégralité à la représentation nationale, à la société civile, aux partenaires sociaux afin de réduire l'asymétrie entre la puissance publique et la société dans le domaine de l'information et de la connaissance de l'état de lieux. Par ailleurs, le gouvernement doit s'engager résolument dans l'amélioration de la qualité des prestations du service public, afin d'éliminer progressivement les tracasseries bureaucratiques qui vont jusqu' à conduire des milliers de nos concitoyens à renoncer purement et simplement à l'exercice de leurs droits les plus élémentaires. Ces graves anomalies entrent pour une grande part dans la profonde désaffection de l'opinion publique à l'égard du pouvoir en général, des autorités locales en particulier (carences répétées des APW et des APC, justement dénoncées par le ministre de l'Habitat dont le travail de fond est miné par des élus incapacitants). La réceptivité des autorités algériennes aux attentes, il est vrai contradictoires, de la société civile, doit être améliorée. Sans doute, le Cnes a-t-il une responsabilité particulière dans l'établissement de passerelles entre l'administration et les citoyens. La circonstance que les pouvoirs publics considèrent désormais le Forum des chefs d'entreprise (FCE) comme un interlocuteur incontournable grâce à la qualité de son expertise, devrait pouvoir être généralisée à d'autres acteurs, également dignes d'intérêt. On espère fortement à cet égard que la nouvelle loi sur les associations permettra aux véritables think tanks qui se constituent çà et là (il est vrai trop peu nombreux) de pouvoir enfin émerger sur la scène nationale. L'Etat ne peut pas être à la fois juge et partie de la politique qu'il met en oeuvre. Il est normal que le président de la République veuille auditionner les ministres et superviser en quelque sorte l'action du Premier ministre. Après tout, la Constitution révisée du 12 novembre 2008 n'a pas mis fin à la dyarchie au sommet de l'Exécutif, même après la suppression du poste de chef du gouvernement. Le Premier ministre continue d'être le responsable de l'Administration centrale et prend toujours des décrets exécutifs (ce qui n'est pas sans malmener quelque peu la lettre et plus encore l'esprit de la Constitution révisée). Quoi qu'il en soit, ne serait-il pas temps de restaurer une pratique saine qui consistait naguère à faire auditionner les ministres par le Cnes, à des fins d'expertise? Du reste, ces audits, du temps de l'excellent M.S.Mentouri (un des plus brillants commis de l'Etat depuis l'Indépendance) permettaient souvent d'exonérer les ministres de certaines anomalies dans la gestion des affaires de l'Etat pour les imputer, à juste titre, à des centres de pouvoir périphériques, à des niveaux administratifs inférieurs ou encore aux acteurs économiques et sociaux, partenaires de la puissance publique. Pour l'histoire, jamais un ministre n'a été auditionné, à cette époque, à des fins de désaveu de son action ou pour le rappeler à l'ordre. Jamais, il n'y a eu empiètement de la fonction consultative (qui a constamment été d'interprétation stricte) sur les pouvoirs du Président de la République ou du chef du gouvernement. Tout le monde y gagnait en transparence (ce qui n'est plus le cas aujourd'hui), tandis que le Président de la République, premier de cordée, chef incontesté et incontestable de l'Exécutif, conservait l'exclusivité du droit de sanctionner les ministres défaillants, ce qu'il s'était, du reste, souvent promis de faire. S'agissant de la prospective - élément important de la bonne gouvernance -, la question est posée de savoir si les institutions en charge de la prospective ne sont pas à la hauteur de leur tâche à cause de l'insuffisance de leur management humain ou si ce sont leurs recommandations qui ne sont pas prises en compte. Ce qui ne fait plus de doute est que l'Algérie ne peut plus être gouvernée à la petite semaine. Le pilotage à vue des affaires de l'Etat a causé suffisamment de préjudice à nos institutions et il a fortement favorisé l'exode de nos meilleures compétences à l'étranger, lequel nous oblige aujourd'hui à faire appel à une expertise étrangère fort onéreuse. Reste la règle de droit. Sa primauté, qui fait honneur à la démocratie ghanéenne, passe par l'indépendance des juges et pas seulement par l'amélioration de leurs conditions de vie et de travail. La justice algérienne doit être mise à l'abri des tentations de toutes sortes et préservée de l'immixtion, dans son office, non seulement du pouvoir exécutif mais des groupes d'intérêt puissants qui cherchent à faire dévoyer sa mission. Il conviendra de protéger les juges comme a su admirablement le faire le président ghanéen, John Kufuor, entre 2001 et 2009, politique poursuivie avec force succès par son successeur, le président John Atta Mills. L'indépendance de la justice constituait évidemment un sujet sensible pour le président Obama et on comprend que celui-ci ait jugé nécessaire de décerner un satisfecit appuyé aux dirigeants ghanéens. (*) Professeur d'Université