Tout le monde s'insulte, depuis l'enfance dans les cours de récréation, dans la rue...partout. Expressions brutales et agressives, colorées d'une spontanéité avérée, telles sont les insultes proférées contre autrui. Elles précédent souvent une confrontation physique qui advient alors comme pour affirmer «sur le terrain» les insultes des uns et des autres. La violence verbale revêt quelque part le burnous de la «langue libérée». Celle-ci reste contenue et retenue dans le propre de l'homme par respect à la société civile et familiale qui nous interdit de franchir les «lignes rouges» que nous souhaitons, intimement tous, outrepasser. Toutes les cultures universelles en sont imprégnées. Les insultes reflètent notre «ego» ni plus ni moins. Elles évoluent avec le verbe et les mutations sociales selon les civilisations, ou tout au moins, selon les comportements nouveaux que véhicule la nouvelle société en ce bas monde. C'est l'image des frustrations et des maux qui gangrènent la vie de tous les jours. Chez nous, la violence demeure hélas l'un des reflets du manque d'aptitude des décideurs qui n'arrivent pas à contenir et maîtriser l'afflux des enfants dans le monde magique de la scolarité. La rue s'en charge et fait des enfants mal éduqués, des victimes. D'autre part, l'absence des parents, préoccupés par d'autres tâches de survie au vu des difficultés de la vie au coût sans cesse croissant, fait le reste. Hélas, de nos jours l'insulte est devenue si grossière, si obscène, si choquante...qu'il est difficile de circuler en famille, avec son père, sa mère ou son épouse, sans être agressé, dans le sens propre du terme, par une insanité vomie au passage d'un voyou. Cela reste impuni par la loi bien sûr, qui a certainement d'autres maux à traiter et à surveiller comme le vol ou l'agressivité physique. Ailleurs, dans les pays dits «civilisés», l'insulte ne touche guère le propre de l'homme. C'est une forme de violence certes, mais qui constitue un «tampon efficace» entre l'agression verbale et celle physique. La hargne contre l'autre, plus riche ou plus instruit ou simplement plus chanceux, s'exprime chez nous à travers l'insulte, ultime agression qui crache son venin sur la différence d'autrui. Un jeune homme qui marche la main dans la main avec sa dulcinée, ou pis encore, au volant d'une voiture top, avec une belle compagne de surcroît...déclenche tout de go, chez des jeunes ou moins jeunes en groupe, une avalanche d'insultes maladroitement assimilées à des taquineries au style précieux et presque «recherché» dirions-nous, pour épater les témoins, les faire sourire ou les indigner... En fait, ces réactions ne font qu'exprimer les misères, sexuelle ou sociale, et les conflits de générations qui ne cessent de s'éloigner les unes des autres. Le tout parsemé d'événements sociaux, culturels et aussi politiques pour les deux dernières générations en Algérie. Jugez-en vous-même: une guerre mondiale, une guerre populaire de libération, un (long) passage à travers une expérience dite «socialiste», une «tragédie nationale», trois week-ends différents...le tout avec une tentative d'entrée, dans le monde des nantis, comprendre celui des pays avancés. Autant d'événements phares qui ont modelé au fur et à mesure un nouveau profil de l'Algérien lambda qui n'est pas encore tout à fait à l'abri d'autres changements qui peuvent s'avérer tout aussi cruciaux et déformants les uns que les autres. Dans tout cela, la femme reste le nombril, ou le point focal dirions-nous, de ces transformations socioculturelles. Les formes d'insultes qu'elles profèrent entre elles sont, par pudeur, indicibles pour les hommes. Les femmes se trouvent en effet déchirées dans leur âme par la supériorité affichée du mâle par excellence dans une société phallocrate à outrance. Leurs insultes s'adressent aux hommes de leur vie: époux, frères, père, fils, amants...lesquels n'ont de cesse d'afficher leur virilité physique et intellectuelle lorsqu'elle n'est pas économique dans nombre de situations. Les insultes qui semblent toucher le plus l'encaisseur masculin sont celles liées à la femme-mère, soeur ou épouse, ou une parente, voire une voisine. Cet aspect reflète le caractère matrimonial profond de notre société-mâle empreinte de valeurs traditionnelles, et ce, malgré l'approche citée plus haut et ressentie seulement par les femmes. Injurier un homme en faisant allusion ou référence à un aspect physique ou moral «intime» de sa mère, soeur ou épouse, père et ancêtres, soit les intouchables de la famille, est le comble de l'agression massive. Elle peut conduire facilement au meurtre qualifié avec quelque fierté mal placée de «crime d'honneur» que certaines communautés musulmanes continuent à respecter de par le monde, parfois en dehors et contre la justice locale établie. En effet, le crime dit «d'honneur» est érigé en action «glorieuse» dans nombre de communautés musulmanes à travers la planète. Tout ceci pour dire combien l'insulte est «riche et variée» chez nous et chez tous les peuples maghrébins. Elle peut être presque anodine comme «dinyamak» ou «dinbabak», contractions qui portent une coloration religieuse signifiant «Dieu maudisse la religion de ta mère ou de ton père», donc une connotation presque abstraite dans le temps et l'espace. Elle prend une autre tournure lorsqu'il s'agit de quelque chose de concret qui diabolise un côté physique surtout du parent féminin visé apparenté à une humiliation destructrice de l'égo. Traiter par exemple un homme d'homosexuel est l'ultime insulte que l'on puisse proférer chez nous à l'encontre d'un jeune homme ou même quelqu'un de plus âgé, surtout au sein de son propre milieu. C'est une audace malencontreuse qu'il faut absolument laver «devant Dieu et les hommes» et surtout physiquement L'autre aspect de l'insulte, humiliante sans plus, mais aussi blessante dans le for intérieur de tout un chacun, est celle qui use de noms d'animaux mal aimés comme d'être comparé à un âne, un mulet, chien ou l'ultime quolibet, de halouf (porc). Socialement, être traité de juif dans le sens de radin est une insulte mal aimée mais qui peut «passer». Cet épithète, comme celui apparenté à tort au terme raciste de «nigrou», n'est pas forcément raciste ou antisémite, ne le sommes-nous pas nous-mêmes). Il est circonstanciel, éphémère, et sans suite dans la conviction profonde et générale. Il y a lieu de souligner qu'une insulte, surtout avec une connotation religieuse, pendant le mois sacré du Ramadan, est un blasphème intolérable chez l'Algérien et tout Maghrébin, pratiquant ou non, mais qui est, rappelons-le «né musulman» par hérédité. Il est à relever également qu'Allah, le Prophète Mohamed, le Coran et l'Islam ne s'insultent que dans la langue arabe. Ce genre d'insultes n'est guère pratiqué sous d'autres cieux où cependant d'autres genres tout aussi blasphématoires sont de mise. L'insulte raciste est aussi usitée, sans en avoir l'air ni la nommer dans le monde moderne, comme rapporté par cette information, toutefois non vérifiée, qui dit que «pour avoir attribué à un client d'origine marocaine le mot de passe "sale arabe", Orange, marque phare de France Télécom, a été condamné par la justice bordelaise à 8000 euros de dommages et intérêts». Les insultes à l'égard des Arabes en général ou des Nord-Africains ont commencé avec la colonisation et elles en sont le produit. Un Nord-Africain n'avait pas de nom de peuple. La mentalité coloniale a de tout temps dénié aux autochtones le droit de se nommer collectivement. Elle va établir des noms particuliers, des noms péjoratifs. Ainsi, le lot des citoyens algériens demandant une rectification de leur nom patrimonial, considéré comme insultant, humiliant ou obscène selon, est considérable. Le terme indigène, nom officiel pour toutes les populations locales, arabes ou kabyles, dans les recensements, était insultant pour nos ancêtres. Pour la femme, la moukère ou mouquère devient très vite une «pute», puis la pute devint en retour le nom de toutes les femmes arabes dans des chansons racistes. Plus grave encore était l'emploi du nom Fatma, du nom de Fatima, la fille du Prophète. Cette appellation a d'abord désigné les domestiques, puis les prostitués et enfin toutes les femmes arabes du Maghreb. D'autres insultes ont caractérisé la période coloniale comme le mot d'origine wolof (langue parlée au Sénégal), «bougnoule», qui désigne la couleur noire, et qui s'est appliqué à partir de 1890 dans le contexte des colonies à tous les indigènes, donc aussi bien aux Arabes qu'aux Imazighen en Algérie. Par ailleurs, l'Arabe algérien est accusé de voleur comme le rat. Il est aussi lié à ce qui semble le plus bas dans la création, le rat. Cet animal qui est associé à la saleté, l'avarice et la laideur. Les dérivés de cette insulte sont nombreux: ratonner, ratonnade, ratonneur. Tous sont liés au contexte de la guerre d'Algérie et perdurent. Ce sont là des insultes qui ont marqué le peuple algérien qui s'en souvient encore.