On parlera sûrement longtemps de ce geste stupide — un vrai coup de boule comme l'appelle les Marseillais — qu'a eu Zidane contre le défenseur italien Materrazi qui lui a coûté une (malheureuse mais tout à fait justifiée) expulsion à quelques minutes de la fin, alors que son équipe avait encore plus que jamais besoin de sa présence sur le terrain. Comment un garçon aussi gentil et ayant pour ainsi dire rarement failli aux principes de la sportivité pouvait-il avoir un comportement d'une telle brutalité, alors que des millions de téléspectateurs avaient les yeux rivés sur le stade de Berlin et étaient, une seconde avant, unanimement sous le charme de sa maestria. Cette réaction qui a choqué les personnes sensibles aux quatre coins de la planète avait forcément une explication. Hypothèse d'école : Si Zidane, d'habitude réservé et surtout fair-play, a “pété les plombs” pour reprendre une expression typique de la presse française, c'est qu'en amont de ce geste il y a eu une énorme provocation. La presse mondiale parle d'insulte grave proférée par le Sicilien qui traîne dans son pays la triste réputation de “déménageur”, mais à ce jour personne ne connaît le contenu exact de ce propos trempé dans le fiel qui a tout déclenché et qui aura en tout cas ouvert la porte aux élucubrations les plus fantaisistes. Le cousin du Bled qui a mis sur la piste une grande agence de presse a laissé croire (et encore au conditionnel) que Materrazi aurait traité son antagoniste de terroriste, insinuation vite démentie par ce dernier. Bernard Tapie a cru comprendre que l'Italien a dû toucher l'honneur de la famille pour susciter un mouvement aussi fou chez Zidane. De nombreux journalistes pour leur part ont imaginé une insulte d'une violente vulgarité qui ne pouvait laisser indifférent une homme ayant une forte personnalité que celle du meneur de jeu français. Dans cette affaire de coup de tête en réponse à une évidente provocation verbale qui a fait l'actualité dans le monde entier, on semble avoir retenu plus le comportement négatif de Zidane que celui de son adversaire présenté presque comme une victime au-dessus de tout soupçon, alors que dans cette confrontation qui a tourné à l'avantage de la Squadra azzurra qui a fini par gagner le trophée face à des Tricolores qui avaient pourtant le match en main, l'attitude du défenseur italien avait au départ quelque chose de malsain. Materrazi avait-il calculé son plan pour piéger Zidane et affaiblir les Bleus ? En football, on dit souvent que tous les moyens sont bons, même les plus déloyaux, pour triompher, à plus forte raison quand on dispute une finale de Coupe du monde. Au regard de la tournure prise par les événements — Zidane poussé à l'impensable, la France battue — on est tenté de croire que dans l'arsenal tactique de l'entraîneur Lippi, il y avait une carte à jouer à laquelle personne ne pouvait songer. Mais le geste de Zidane que Bouteflika classe dans les réactions “d'honneur” avait cette particularité de trahir une spontanéité incontrôlable quand la fierté d'une personne est soumise à l'offense. Ce n'est pas comme on dit chez nous une “redjla” mal placée, mais bien une réponse à une profonde atteinte à la dignité. Celui parmi les sportifs qui pourrait comprendre le mieux la réaction du Franco-Algérien, c'est bien Eric Cantonna qui eut dans sa carrière des moments où blessé dans son amour propre il n'avait d'autre solution que de... péter les plombs. On se rappelle de sa “ruade” contre un supporter anglais qui avait osé le traiter de tous les noms. Super star du football britannique à l'époque, Cantonna avait subi les foudres de la presse avant que cette dernière ne revienne à des sentiments plus justes à son égard. Zidane, pour sa part, qui a crevé l'écran dans ce Mondial, ne méritait pas une sortie aussi détestable alors qu'il livrait le dernier match de sa fabuleuse carrière. Mais pouvait-il vraiment se taire alors que son honneur était bafoué ? Entre le footballeur de génie qui a conquis le cœur de tous les puristes de la planète et l'homme qui respire et qui pense comme nous tous, il n'y a en fait aucune contradiction. Il restera une légende malgré tout.