L'Algérie souffre d'une maladie chronique depuis 40 ans qui s'appelle routine. Comme une métastase, cette dernière s'étend à tous les secteurs d'activités. Ce qui place l'Algérie loin derrière les pays qui, l'ayant énergiquement combattue, ont adopté, depuis des dizaines d'années, un système antiroutine à toute épreuve. Comme l'Amérique par exemple! Les Algériens s'étonnent encore de nos jours qu'en Amérique lorsqu'une session électorale arrive à échéance, tous les mandats électifs changent pratiquement de main, y compris celui de shérif. Fonctionnant par alternance, le système américain semble avoir été conçu pour injecter régulièrement du sang nouveau dans les articulations de l'administration à tous les niveaux de la hiérarchie. Bon ou mauvais système, en tout cas il perdure en l'état depuis plus d'un siècle et demi. L'Amérique changerait-elle la nature de son système si elle devait un jour rencontrer une longue période de récession au bout de laquelle son économie perdrait de sa puissance? Il semble que cette perspective influerait beaucoup sur son système politique tandis que l'Etat de droit américain qu'on cite souvent comme modèle, en prendrait un sacré coup. Un Etat de droit doit-il être obligatoirement riche pour remplir plus ou moins convenablement sa mission? C'est, en effet, ce qui semble découler de l'observation différenciée des Etats de droit fonctionnant dans le monde, qui sont très peu nombreux, et les autres. La planète compte un certain nombre d'Etats indépendants dont le système politique varie d'un pays à l'autre. L'Algérie en fait partie. Et, comme eux, aspire un jour pouvoir instaurer, elle aussi, son Etat de droit. Il reste seulement à savoir comment y parvenir. Puisqu'il découle de la première observation que l'Etat de droit ne peut fonctionner que dans les pays à forte croissance économique et où l'alternance politique est considérée comme un stimulant indispensable parce que libérateur d'énergie, il tombe sous le sens que l'Algérie a besoin de sortir des vieux clichés qui lui ont servi depuis 40 ans de principes de base pour concevoir ses politiques de développement. Comment? En instaurant un système basé sur le critère unique de la compétence au recrutement allié à l'exigence de rentabilité obligatoire. Notre pays a pourtant formé des cadres à tour de bras, des cadres théoriquement capables de gérer efficacement tous les secteurs de l'économie et de l'administration. Pourquoi alors notre économie est-elle grippée et le bien-être qu'elle sous-entendait, est-il, chaque fois, renvoyé aux calendes grecques? Pourquoi l'Algérie continue-t-elle de quêter sans l'atteindre son décollage économique qui est la condition sine qua non du parachèvement de la construction de son Etat? Les caisses du Trésor public résonnent depuis quelque temps d'une prodigieuse moisson de devises qui, combinée à un équilibre macroéconomique réel, aurait dû déboucher sur des résultats bien plus probants. Or, les résultats se situent en deçà du minimum exigé. Où est l'erreur? En fait, il s'agit d'un chapelet d'erreurs résultant d'une relation étrange que nous entretenons avec le travail, dont la routine apparaît comme l'inclination dévastatrice contre notre système de développement. La routine constitue le blocage par excellence d'une administration ou d'une organisation de travail. Elle naît généralement de l'absence de sang nouveau à une structure où, par exemple le P-DG, surprotégé, bloque toute promotion de ses collaborateurs par le seul fait qu'il apparaît comme indéracinable. L'Algérie compte des milliers d'exemples de ce type dont certains continuent de gérer leurs entreprises comme leur propriété, mais sans se soucier de sa rentabilité puisqu'elle ne lui appartient pas. Mais comme au sein d'une entreprise, tous les travailleurs aspirent à l'avancement de leur carrière, le blocage découlant du règne indûment prolongé du principal responsable grippe tous les rouages en les pervertissant. Résultat, la routine s'installe et le personnel, qui ne voit rien venir, prend la résolution d'entrer dans une longue période de léthargie. On s'est souvent demandé quelle était l'utilité pour un cadre supérieur de rester plus de trois ans dans une entreprise ou dans un grand département ministériel. La routine c'est la preuve de l'absence manifeste d'inventivité de la part des responsables, dès qu'ils se sentent assurés de régner aussi longtemps qu'ils le désirent sur leur entreprise. L'incompétence c'est en quelque sorte la soeur jumelle de la routine. L'une nourrissant l'autre et vice-versa, exactement comme pour la cooptation par rapport à l'incompétence. Toutes ces carences générant les mêmes blocages dans l'administration économique sans épargner les autres secteurs. Cela sans parler du découragement que ce mal engendre au sein des ressources humaines dont certains agents, dégoûtés de l'absence d'avancement et de l'étiolement de leur savoir-faire pour cause de routine, ont préféré s'exiler après avoir été formés à prix d'or par l'Algérie. En attendant, le système continue de sévir. Il serait, peut-être, temps de sortir du cercle vicieux qui consiste à renvoyer des ministres chez eux après moins de trois ans d'exercice pour les récupérer ensuite comme conseillers dans les plus hautes sphères, quand ils ne sont pas nommés ambassadeurs, comme si cette fonction était une manière de pantoufler aux frais de la République. Il en est de même pour les walis qu'on récupère ou les copains promus à des postes généreusement rémunérés comme si le rôle de l'Etat était voué à ne promouvoir que les pour s de routine.